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ROMANIA

BOMANIA

RECUEIL TRIMESTRIEL

CONSACRÉ A l'étude

DES LANGUES ET DES LITTÉRATURES ROMANES

PUBLIÉ PAR

Paul MEYER et Gaston PARIS

Pur remenbrer des ancessurs Les diz et les faiz et les murs. Waci.

ANNÉE 1880

PARIS

F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR

67, RUE DE RICHELIEU

LIBRARy OF THE LELAND STANFORD JR. UNIVERSltf.

(X. 'fioS'B'S

LA CHANSON

DU

PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE'.

Parmi les chansons de geste que nous a laissées le moyen âge, la plus courte et la plus singulière est celle qui raconte le- pèlerinage de Char- \eai2gne au saint sépulcre et son retour par Constantinople. Un seul manuscrit >, écrit en Angleterre au ziii* siècle par un copiste qui savait à pdne le français et qui a cruellement maltraité son texte, nous l'a conser- vée ; mais elle a eu, comme beaucoup d'autres productions de notre vieille épopée, un grand succès à l'étranger, et nous en possédons deux traduc- tions anciennes, faites toutes deux au xlu" siècle, l'une en norvégien î,

1. Cette étude a été écrite et communiquée à l'Académie des Inscriptions il y a deux ms et demi. Un extrait en a éié lu à la séance publique de cette Académie du 7 décembre 1877 et publié dans divers recueils. Je venais d'en terminer la révision quand j'ai reçu la nouvelle édition de notre poème, due h M. Kosch- wit2 : Karls des Grosun Reise nach Jérusalem und Conslanlmopd (Heilbronn, Hen- ningcr, 1880; t. Il de \' AUjranzxsische Biblwthek dirigée par M. Fœrster). Cette édition est naturellement très supérieure à la première : la collation du manuscrit n'a pas donné grand résultat; mais le nouvel éditeur, aidé des conseils de M. Fcerster, a amélioré le texte en un très grand nombre de points, ioit en interprétant mieux, soit en corrigeant le manuscrit. Dans la préface, M. Koschwitz, sans reprendre à nouveau l'étude linguistique qu'il avait déjà faite sur le poème (voy. ci-dessous), en a rectifié certains points. J'ai revu sur cette édition les vers cités dans mon travail ; j'ai indiqué A quelques endroits, lorsqu'elles en valaient la peine, mes divergences avec l'éditeur.

2. Brit. Mus., ms. 16. E. VIII. Voy. Charlemagne, p. xxu ss.; Rom. Stud., II, 2; Hast. p. 7.

{. Katlagiagnàs-Siga, p. ^66-485. Sur les différentes recensions du texte Scandinave |e ne puis mieux taire que de renvoyer à la préface de M. Kosch- witz, p. 9, sont donnés tous les renseignements nécessaires. La version sué- doise, imprimée par M. G. Slorm (SagnkreJseine ont Karl dm Store og Didrik af Btni, Knstiania, 1874, p. 2iS ss.}, mérite d'être consultée, comme pouvant

Rtmanit, IX l

2 G. PARIS

l'autre en gallois '. En France elle a été renouvelée à la même époque, comme il arriva à toutes les vieilles chansons de geste qu'on ne voulait pas laisser perdre, et elle a formé le début du poème de Galieii, aujourd'hui inconnu, au moins sous sa première forme ^ : on en fit au xv siècle deux versions en prose ; l'une, incorporée à la vaste compilation imprimée sous le nom de Guerin Je Moniglane, a été retranchée du texte de ce roman quand on l'imprima et ne s'est conservée que dans un manuscrit fort altéré ; l'autre, isolée, nous est parvenue dans un manuscrit et a été imprimée, sous une forme assez différente et avec le litre inexact de GdUcn le Restoré, à la fin du XV* siècle'; aujourd'hui encore les presses populaires en tirent à des

avoir parfois une leçon meilleure que les mss. conservés de l'original norvégien. Cette version suédoise est à son tour l'original de la version danoise insérée dans la CAfO/ii^u^ dt CharUmagne (la dernière et meilleure édition est dans Brandt, Romantisk Diatning fra MiJdelaldenn^ t. III, Copenhague, 1877I. Deux versions poétiques, I une composée en Islande, l'autre encore populaire dans les lies Fœroe, ont été récemment publiées par M. Koelbing (Koschwitz, Secks Bearbcitungen, etc., p. 134 ss.). Je désigne par K, avec M. Koschwitz, la version Scandinave.

1 . Cette version galloise parait avoir été dés l'orighie annexée i une traduc- tion du Pseudo-Turpin. On en possède trois recensions, dont la meilleure est contenue dans le célèbre « livre rouge 1 de Hergest. Imprimée une première fois avec une traduction anglaise par M. John Rnys i. la suite de l'édition du PUerinage de M. Conrad Hoffmann (voy. ci-dessous, p. 6, n. 2), elle a été publiée, d'après la copie et avec la traduction anglaise du même savant, dans le recueil de M. Koschwitz : Suhs Bairbtitungtn du allfranianscken ddichts von Karls des Grosscn Rein nach Jérusalem uiid Conslantinopel (Heilbronn, Henninger, 1879), p. t ss. La version galloise est désignée par H. C'est ici le lieu de mentionner le fragment, malheureusement très mutilé, d'un poème anglais sur le même sujet, imprimé dans la nouvelle édition du Livre de tmllades de Percy (p. 274 suiv.), et auparavant dans l'introduction de Sir Fr. Madden à Sir Gawaine. Arthur remplace ici Charlemagne et vante sa Table Ronde ; Genièvre lui dit qu'elle en connaît une bien supérieure. Après avoir longtemps erré avec quatre compagnons, Arthur arrive à la cour du roi de Cornouailles, qui est celui que la reine avait dans l'esprit. Les gabs sont remplacés par des vows ; ce qui suit, jusqu'aux dernières strophes conservées, on voit Arthur couper la tète du roi de Cornouailles, parait, autant que les graves et nom- breuses lacunes permettent d'en juger, très différent de notre poème. Cependant la ressemblance du début est telle qu'il faut croire que le poème anglais provient plus ou moins directement du Pilcrinagc.

2. Sur ce poème de Galiea, dont il existe probablement un manuscrit en Anf;leterre, sur le rapport des versions en prose à l'oricinal et sur l'origine de l'épithète de restoré, mal à propos attribuée au héros du poème, on trouvera des renseignements dans un article, déjà imprimé, qui paraîtra dans te t. XXIX de VHistoire littéraire de la France.

l- J'avais l'intention de publier dans la Romania ces trois versions du rema- niement du PUennagey et )e comptais imprimer en regard, sur deux colonnes, les deux textes du Catien proprement dit, et au bas de la page celui de Guerin de Mongtane (ms. de l'Arsenall. Ayant appris que M. Koschwitz avait de son côté commencé l'impression des rédactions en prose, je lui abandonnai les copies que j'avais fait prendre. Pour le Galien, j'avais fait copier l'édition de i$2S (comme je l'ai écrit à M. Koschwitz dans une lettre qui, paraît-il, ne lui est pas

LA, CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMACNE ?

milUers d'exemplaires un texte devenu inintelligible à force de fautes d'impression '.

Voici le sujet de cette curieuse composition, dont |e veux essayer de déterminer le caractère, la date et la patrie.

Un jour Charlemagne est à l'abbaye de Saint- Denis ; il a mis sa cou- ronne sur sa tète, son épée à son côté ; il se promène devant ses barons, «r Dame, s'écrie-t-il en s'arrêtant devant la reine qui le regarde, croyez- vous qu'il y ait un homme sous le ciel qui sache mieux porter couronne et glaive? » La reine répond imprudemment : n il ne faut pas se vanter trop, empereur. Je connais un roi plus imposant encore ci plus gracieux.» A ces mots, Charle est rempli de honte et de colère ; il oblige sa femme i lui nommer ce rival prétendu, et jure qu'il ira le visiter avec ses bons dievaiiers : si la reine a dit vrai, c'est bien ; si elle a menti, il lui fei^ trancher la têle au retour. Elle a beau se défendre, il lui faut nommer le roi Hugon, empereur de Grèce et de Constaniinople. Ch.irle con- voque tous ses barons et leur annonce qu'il veut aller à Jérusalem adorer le saint sépulcre et en même temps voir un roi dont on lui a parlé. Les douze pairs, Roland, Olivier, Turpin, Guillaume d'Orange, Oger de Danemarche, Naimon, Gérin, Bérenger, Ernaut de Gironde, Aimer, Ber- nard de Brusban et Bertrand, déclarent qu'ils le suivront ; quatre-vingt mille hommes se joignent à eux'. Ils prennent l'écharpe, c'est-à-dire la besace, et le bourdon à l'abbaye de Saint- Denis et se mettent en marche. Après avoir traversé la Bourgogne, la Lorraine, la Bavière, toute l'Italie et \a Grèce', ils arrivent à Jérusalem. Le patriarche les reçoit à merveille, leur donne au départ des reliques admirables, entre autres la couronne d'épines, un des saints clous, le saint suaire, la chemise de la Vierge, et le bras sur lequel le saint vieillard Siméon porta l'enfant Jésus. Après avoir été cueillir à Jéricho les palmes qu'ils rapporteront en France, les Français se remettent en marche, et, traversant la Syrie et l'Asie mineure, arrivent à Constantinople. Le roi Hugon, qu'ils trouvent en train de

parrenueK avec l'intention de collationner ensuite cette copie avec l'édition ftmtips ae 1 500. M. Ko.schwitz a imprimé :\ la suite l'un de l'autre, dans l'eu- vnge cité plus haut : t' le texte du nis. de l'Arsenal; 2* le texte du Galitn OUmucnt; y le texte du Gaiun imprimé.

1, Le Gdtitn a passé en Italie, sans doute dès le XIII" siècle, et y a peut-être pris forme ordinaire d'un poème franco-italien. Ce poème s'est perau : mais an résvmè assez altéré s'en est conservé dans le roman en prose publié par M. Ceruii soos le turc de Vi^igio Ji Carlomjgno in Ispjgna. En outre, un trait essrntiel se retrouve dans le Lbro dd Danesc, analysé ici par M. Rajna (voy. ci- dessous, p. 10, n. 4).

2. De ces quatre-vingt mille hommes il n'est plus question par la suite ; on ne toit figurer dans les aventures du voyage que Charle et ses douze pairs.

}. Je reviendrai tout à l'heure sur cet itinéraire, que je donne ici non tel que le présente le poème, mais tel qu'il a être à l'origine.

4 G. PARIS

labourer la terre avec une charrue d'or', les accueille avec un faste vrai- ment digne de l'Orient et les émerveille par les splendeurs fantastiques de son palais. Après un souper magnifique, on mange de tous les mets les plus délicieux, des cerfs, des sangliers, des grues, des oies sauvages et des paons roulés dans le poivre, on boit du vin et du clari* pendant que les jongleurs font retentir la vielle et la rote, Hugon mène Charlemagne et les douze pairs dans la chambre qui leur est destinée; douze grands lits de bronze sont rangés autour d'un treizième, plus riche que tous les autres. Les Français se couchent ; ils sont joyeux, ils ont bu des vins; Charlemagne leur propose de gaber avant de s'endormir '. Caber, c'est se livrer à des gasconnades l'un cherche à dépasser l'autre. La proposition est acceptée, et les hôtes de Hugon s'en donnent à qui mieux mieux. Malheureusement le roi grec, méfiant et sage, a fait cacher un espion dans le gros pilier qui soutient la voûte de la salle ; cet espion écoute les gah, et il prend au sérieux toutes les terribles choses que les Français se vantent de faire. « Qu'on m'amène, dit Charlemagne, le meilleur chevalier du roi Hugon, qu'il ait deux hauberts sur le corps, deux heaumes sur Da tête, qu'il monte sur un fort cheval : je prendrai une épée, et je lui assènerai un tel coup sur ta tête que je fendrai les heaumes, les hauberts, le chevalier, la selle et le cheval, et la lame entrera en terre plus d'un pied. Que le roi Hugon me prête son cor, dit Roland : je sortirai de la ville, et je soufflerai d'une telle haleine que toutes les portes de la cité en quitteront leurs gonds; si le roi veut s'avancer contre moi, je le ferai tourner si fort qu'il en perdra son manteau d'hermine et que ses moustaches en seront brûlées. Vous voyez, dit Oger de Dane- marche, ce pilier qui soutient tout le palais P Demain au matin, je l'étrein- drai et le secouerai si rudement que le palais s'écroulera. Gare à ceux qui n'en seront pas sortis à temps ! J'ai un chapeau merveilleux, dit Aimer, fait de la peau d'un poisson marin, et qui rend invisible ; je le mettrai sur ma tête, et demain quand le roi sera à son dîner, je mange- rai son poisson et boirai son vin, et je lui heurterai la tête sur la table ; il s'en prendra à ses hommes ■♦, et on verra de belles querelles. » Les

J'ai déjà foit remarquer {Hist, «où. de Ckarl., p. ^a^) la cur e de ce trait singulier avec l'usage chinois d'après lequel

curieuse comci- empereur.

dcnce

chaque année, ouvre lur-méme le premier'sillon.

1. Vin mélangé de miel (voy. Sainle-Palaye au mol clairi) et d'épices (voy. Du Cance au mot ckrctum). Le mot clautl (vin rouge clair, angl. dard] semble être différent de clmè, mais il est difficile de les bien distinguer (voy. Littri au root clairet).

]. Les vers contenant la proposition de Charlemagne manquent dans le manuscrit du poème ; ils se trouvent dans les autres rédactioDS (voy. la préface de M. Koschwilz, p. jy).

4. Cette circonstance, nécessaire à l'intelligence du gab d'Aîmer, est omise dans le poème, et les versions norvégienne et galloise ont déjà eu sous les yeux

LA CHANSOH OU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 5

auires pairs assurent aussi qu'ils feront des choses extraordinaires ; le giib d'Olivier, qui s'est épris d'un subit amour pour la fille du roi Hugon, est aussi cru que prodigieux. Quand les comtes ont fini de gaher^ ils s'endorment. L'espion court au roi, et lui rapporte en toute épouvante les eflrayantes vanteries des Français, Hugon entre en une grande fureur; au matin, quand Charte et les pairs arrivent de l'église, il les apostrophe avec véhémence : « Vous vous êtes moqués de moi, leur dit-il, vous m'avez outragé et menacé. Eh bien ! si vous n'accomplissez pas vos gabs comme vous l'avez dit, je vous trancherai la tête. » L'em- pereur et les pairs sont interdits. « Sire, dit Charlemagne, c'est l'usage des Français de ^aher avant de dormir ; vous nous aviez donné hier de forts vins à boire ; si nous avons dit des folies, nous n'en sommes guère responsables. Laissez-moi me conseiller avec mes barons. » Les pairs se rassemblent autour de lui sous un arceau. « Il paraît, dit l'em- pereur, que nous avions bu hier trop de vin et de clarè, et que nous avons dit des choses qu'il aurait mieux valu ne pas dire. Prions Dieu de nous tirer de peine, n II fait apporter les reliques que lui a données le patriarche ; tous se mettent à genoux et prient avec ardeur. Soudain parait un ange envoyé par Dieu : « Ne crains rien, Charle. Vous avez eu tort, toi et les pairSj de gaber hier comme vous l'avez fait : n'y revenez plus. Mais va, fais commencer quand on voudra : tous les gabs seront accomplis. » Les Français se relèvent joyeux, et vont trouver le roi Hugon dans son palais. « Sire, dit Chariemagne, vous vous êtes conduit avec nous d'une manière qu'en plus d'un pays on taxerait de trahison. Vous nous avez fait épier dans la chambre vous nous héber- giez, et vous avez entendu les gabs que nous avons faits. Nous étions quelque peu ivres, et nous ne savons plus ce que nous avons dit ; mais allez, désignez les gabs que vous voudrez : nous sommes prêts à les accomplir. » Le roi choisit d'abord, on ne peut plus singulièrement, le gab d'Olivier, et, le soir arrivé, enferme le jeune homme avec sa fille. Sire, dit la belle en tremblant, êtes-vous venus de France pour mettre â mort les pauvres femmes? Rassurez-vous, réplique le courtois Olivier ; il n'en sera que ce que vous voudrez. C'est l'amour qui m'a fait parler ainsi. Promettez-moi seulement de dire à votre père que j'ai exécuté mon gab. » Il n'en accomplit que le tiers, et c'était déjà une belle merveille ; mais la princesse, fidèle à son serment, dit le lende- main à son père qu'il avait fait tout ce dont il s'était vanté. On passe ensuite à Guillaume d'Orange, qui s'était fait fort de prendre une boule de pierre énorme, et de la lancer contre le mur du palais de façon à en

un t«te altéré. Le geb d'Aïrorr, attribué 1 Naimon dans Cutrin de Monglaiu (Koschaitï, Sedu Bearb., p. j6) et à Ganeion dans Galien (p. 87, uo), y est dè6garé.

6 ^^^^^^^^ G. PARIS

abattre plus de quarante toises; il défubie ses peaux de bièvre brun, prend d'une main cette boule que trente hommes ordinaires n'auraient pu remuer, il la laisse aller, et renverse en effet plus de quarante toises du mur. « Par foi! s'écrie le roi Hugon, ces gens sont des enchanteurs; mais voyons les autres. Bernard de Brusban a prétendu qu'il ferait sor- tir de son lit le grand fleuve qu'on entend d'ici bruire dans la vallée, qu'il le ferait entrer dans la ville et tout inonder, que moi-même je m'enfuirais sur ma plus haute tour et n'en pourrais descendre qu'à son commandement. Qu'il le fasse. » Bernard court au fleuve, le signe, et l'eau sort aussitôt de son lit, remplit les champs, inonde la ville; tous s'enfuient, Hugon monte en sa plus haute tour; il se lamente, il promet à Charlemagne, s'il le délivre, de lui faire hommage et de lui donner tout son trésor. Charle prie Jésus, et l'eau sort de la cité et rentre dans son canal. Le roi Hugon descend de sa tour et s'incline devant Charle- magne. « Eh bien ! lui dit l'empereur, en voulez- vous encore, des gabsf J'en ai assez, répond Hugon. Je reconnais que Dieu vous aime; je veux être votre vassal, et mon grand trésor est à vous ; je le ferai con- duire en France. Je n'en veux pas un denier, dit Charle ; mais j'ai une chose à vous demander. Faisons aujourd'hui une grande fête, et portons l'un et l'autre nos couronnes d'or. Volontiers, dit Hugon; nous ferons une procession solennelle. » Charlemagne et Hugon mar- chent côte à c6te, leurs grandes couronnes d'or sur la tête ; Charle est plus grand d'un pied et quatre pouces. Les Français les regardent et tous disent : « Madame la reine a dit folie ; nul ne peut se comparer à Char- lemagne; en quelque pays que nous venions, nous aurons toujours l'avantage. » Après un repas somptueux, Charle prend congé. Ils tra- versent les pays étranges et arrivent à Paris. L'empereur va à Saint- Denis et dépose sur l'autel le clou et la couronne d'épines. La reine l'attendait : elle tombe à ses pieds en lui demandant pardon ; il la relève et lui pardonne pour l'amour du saint sépulcre qu'il a eu la |ote d'adorer.

Tel est le sujet du PHerinage de Charlemagne ' , publié il y a quarante- quatre ans par M. Francisque Micheh. Le manuscrit unique qui nous

1 . Ce titre, à la fois plus court et plus caractéristique que celui de < Voyage ' de Chariemagne à Jérusalem et à Constantioople », est confirmé par le titre de Janalajcrd que porte la branche VII de la Karlamagnùs-Siiga.

2. CfharUmcignt, an angio-norman poem of the twelltn century, now first published... by Francisque Michel. London, Pickering ; Paris, Tcchener, KWXfixxxvi. in-i6. J'avais préparé, il y a quelques années, une nouvelle édi- tion de ce poème, quand j'appris que M. Conrad Hoffmann en taisait une de soo côte. Il m'envoya en effet, sur ma demande, les bonnes feuilles de cette édition, que je lui retournai en y joignant quelques remarques; la dernière feuille seule, s'il m'en souvient bien, n'était pas encore tirée Cette édition n'a pas été livrée atl public. Sur celle que vient de donner M. Koschwitz, voy. ci-dessus, p. i, n. i.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 7

en a conservé un texte très défectueux a été écrit, comme je l'ai dit, etî Angleterre au xiii' siècle ' ; mais quelle est la date de la compo- sition ? M. Michel accepte l'opinion de l'abbé de La Rue, qui assignait ce poème, qu'il avait lu en manuscrit, aux premières années du xii' siècle». Mais celte date n'a pas été admise par tous les critiques. En 1859, M. Paulin Paris, dans une dissertation spéciale sur notre chanson, j reconnaissait des formes de langage analogues à celles de la Chan- son de Roland^ el, en s'appuyani sur diverses considérations histo- riques et littéraires, en faisait remonter la composition à une époque antérieure aux croisades'. M. P. Meyer, rendant compte de cette dis- sertation, croyait pouvoir mettre l'apparente antiquité du poème sur le compte des formes anglo-normandes •♦. M. Louis Moland, qui donnait trois ans après une nouvelle analyse du poème, le jugeait delà première moitié du XIII" siècle, et allait jusqu'à supposer que « les archaïsmes de rhythme et de langage pourraient bien n'être qu'un artifice'. » En 1865, dans mon Htsioire poéliijue de Chaïkmagne, j'aiiribuais, sans préciser davan- tage, l'ouvrage au xii" siècle, et j'inclinais alors, pour des raisons que je dirai plus loin, à en abaisser la date ; cependant je le considérais, à cause des formes de langage et de style, comme certainement antérieur au xiii« siècle 6. M. L. Gautier, en 1867, faisait remonter < ce fabliau épique » au premier tiers du xii" siècle ; il s'appuyait sur les assonances, qu'il ne trouvait pas différentes de celles de la Chanson de Roland, et concluait qu'entre les deux poèmes il n'avait pas s'écouler plus de trente ou quarante ans". M. Mail, dans sa savante introduction au Compul, attribue le poème au xii« siècle^. Enfin, récemment, M. Kos- cbwitz, par un examen approfondi de la langue du P'derinage, a cherché 1 démontrer que cette curieuse composition appartenait au xi* siècle 9. Je n'ai pas l'intention de discuter ici les remarquables études de ce jeune savant : laissant de côté la question philologique, je veux exami-

I M. Koschwiti le fait descendre k la fm de ce siècle ou même au commen- cemeot du XIV" siècle. 2. CharUmagnc^ p. xxxiv.

5. Jahrbuch fur romaniiche und englische Literatur, I, 198 ss. Le présent mé- moire, malgré quelques divergences de détail, peut être regardé comme une édition revue et augmentée de cet article, qui aDOutit aux mêmes conclusions en employant souvent les mêmes arguments.

4. B16I. Ec. Ch. y s., t. II, p. sji- \. Origints litlirairts de la France, p. lOi.

6. Hut. poil., p. ^42.

2, ÊfOfKti pAnçaiits^ II, 260. . P. S-). 80, etc. 9, Rottiiintschc SluJien, II, 41 ss.; Ucber litfenmg und Sprachi der Chanson du •oyagc de Charlcmape â Jérusalem (Hcilbronn, 1876). Cf. 'Romania, JV 505, VI «46 ; Jtnjcr Uuralarzctung, 1877, n' 4. Il faut maintenant renvoyer surtout i ta préface de M. Koschwitz à son édition.

8 G. TARIS

lier le poème au point de vue historique et littéraire, et rechercher s'il porte en lui l'empreinte d'une époque que nous puissions reconnaître.

On s'aperçoit du premier abord que la chanson du Pèlerinage de Char- lemagne comprend deux parties distinctes, qui n'auraient entre elles aucun rapport si la main habile du poète n'avait pas su les relier. L'une est le pèlerinage proprement dit à Jérusalem ; l'autre est la visite au roi Hugon et la scène des ^abs. L'auteur les a rattachées de plusieurs façons, d'abord en plaçant à Constantin opie, c'est-à-dire sur la route du saint sépulcre, le roi que Charle va visiter, puis en représentant les Français comme impuissants à se défendre contre le roi Hugon parce qu'en leur qualité de pèlerins ils ne portent pas d'armes ; enfin en attribuant le miracle que Dieu fait pour les tirer de leur fausse position à la « force » des reliques qu'ils ont rapportées de Jérusalem. Mais malgré cet ajus- tage soigneux, les deux pièces de son récit se laissent parfaitement démonter '. Il est clair qu'il a fondu un conte fort amusant, originaire- ment étranger à Charlemagne aussi bien qu'à Constantinople, avec un récit relatif à Charlemagne dont nous rechercherons tout à l'heure l'ori- gine et le caractère. Parlons d'abord de ce premier conte, qui occupe la plus grande partie du poème.

Réduit à ses éléments les plus simples, il peut s'analyser ainsi : un roi, qui se croit le plus noble et le plus magnifique du monde, entend dire qu'un autre le surpasse ; il se rend à sa cour pour s'en assurer, pro- mettant, si ce n'est pas exact, de punir ceux qui se seront joués de lui ; arrivé là, et bien que réellement ébloui par la magnificence dont il est témoin, il se livre à des vanteries imprudentes, dont son hôte exige l'exé- cution, et qu'il parvient, à la grande terreur de celui-ci, à exécuter grâce à la protection divine ; il résulte d'ailleurs de la comparaison finale que le roi étranger ne l'emportait pas sur lui comme on l'avait prétendu. L'un des motifs principaux de cette histoire se retrouve identiquement dans un conte arabe. Haroun al Raschid y remplace naturellement Charlemagne, et le vizir Giafar joue le rôle de l'impératrice : " Un jour que le calife venait

I. Il semble même, à un endroit, qu'on retrouve les traces d'un poème pri- mitif consacré uniquement au pèlerinage à Jérusalem, que Charlemagne aurait fait, avec ses douze compagnons, â l'insu de tout le monde. Quand il a séjourné quatre mois i Jérusalem, il dit au patriarche (v. 216 ss.) :

Vûstre congiet, bels sire, se vos plaist, me donez :

En France a mon reialme m'en estuet rclorner ;

Pose at que jo n'i fui, si ai molt demoret,

Et ne set mis barnages quel part jo sui tornez. Il est vrai que quelques vers plus loin on lit :

L'enperere de France i oui tant demoret

De sa moilier li menbret que il oit parler, etc. Mais cela a précisément assez l'air d'un raccord.

LK CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 9

de distribuer à tous ceux qui l'entouraient de riches présents, il s'écria : Existe-t-il quelqu'un de plus riche et de plus magnifique que moi ? Le vizir se leva et répondit : Seigneur, vous avez tort de vous louer vous- même. Il y a à Bassora un homme, appelé Aboul Kacim, qui est encore plus riche et plus magnifique. Le calife irrité lui dit : Si tu as dit la vérité, c'est bien ; mais si ce n'est pas la vérité, je te ferai trancher la tête. Et après l'avoir fait jeter en prison, il partit pour Bassora, afin de s'assurer par lui-même de ce qui en était '. n C'est donc un de ces motifs anciens, probablement d'origine indienne, qui dès le commence- ment du moyen âge circulaient dans les récits populaires, auxquels notre poète l'a emprunté. Mais il faut remarquer que des traits analogues sont particulièrement fréquents dans l'ancienne poésie germanique et surtout Scandinave. Le début rappelle par exemple un des récits de VEdda en prose, la Fascination de Gylfi, et un des poèmes de l'ancienne Edda, le Vjfthrudnismdl. Odin dans celui-ci, le roi Gylfi dans celui-là, jouent à peu près le rôle de Chartemagne : ayant entendu vanter, l'un la sagesse du Joie Vafthrudni, l'autre celle des Ases, ils se déguisent et vont chez eux pour en juger par eux-mêmes. Ce cadre, il est vrai, dans les deux versions islandaises, ne sert qu'à amener une longue série de questions et de réponses qui forment une espèce de catéchisme de la religion Scandinave, et le point de départ lui-même rappelle assez le récit de la Bible sur la visite de la reine de Saba à Salomon pour qu'on puisse l'en croire imité. Mais l'un et l'autre présentent aussi des traits particuliers qui ne sont pas sans rapport avec notre poème; ainsi, dans le Vaflhrud- nisrrul, Odin et Vafthrudni s'adressent une série de questions difficiles ; celui qui ne pourra pas en résoudre une aura la tête tranchée : de même dans le Pèlerinage Charle et les douze pairs perdront la tête s'ils n'accomplissent pas leurs ^abs. Dans Gylfugynning les Ases, pour punir Gylii de sa témérité, le reçoivent dans un palais fantastique, qui dispa- raît après leur entretien ; ce que Gylfi voit dans ce palais excite telle- ment sa surprise qu'il en est comme aveuglé, fasciné, d'où le nom du morceau ; on retrouve quelque chose de semblable dans l'accueil fait par le roi Kugon aux Français; ils sont aussi victimes d'une sorte de fasci- nation 1 le palais ils sont se met à tourner ; les portes ont beau être ouvertes, ils ne peuvent sortir ; ils tombent à terre, et leur étourdisse-

1. Je donne ce résumé d'après les diverses rédactions du conte en question. Le début est plus délayé, quoique semblable au fond, dans le texte des Mille et un loan (éd. du Panthéon lutériiin, p. 7) ; il est au contraire à peu près tel que |e l'ai donné dans un conte aes Tartarcs de Tara (RadIofF, Probrn du Vollulitteratur dtr lùrkischtn StJtnmt SûJ-Sibiriens, t. IV, p. 120), toutefois Haroun al Raschid n'est pas nommé. Le nom du calife se retrouve dans une version recueillie chez les Tartares de Tobol (ib. p. 510).

G. PAMt$

■oC dore ÎBiqa^ oe qoe le prodige ait cessé. On trouveraii daiu les IDMBS rédcs saukfaUTCS plm d'un auire point de contact ; ainsi la fiàte dX)dia à Gented. un fleuve déborde, le visiteur divin tntapercK m pSer de marbre d'un morceau de fer qu'il lance, rappelle dm des gtàf des douze pairs. Mais c'est surtout un trait tout genna- ■qae qoe ces voyages lointains entrepris par un roi avec toute sa cour fC^SHènbe avec a bande, avec ses fidèles) pour aller s'assurer de la vérité d'Sine cbosc qo'on lui a contée. Le plus souvent, il est vrai, il s'agit à'tlkx Tftifier si h beauté d'une princesse étrangère est aussi iMOMpanble qoloa le dit, et le tout finit par un mariage ; mais entre Mites ces expéditions aventureuses, il y a une évidente ressemblance K

Ub tnàl qui revient dans plusieurs d'entre elles et qui manque dans Mtre p«èa»e, t'es» que le visiteur se déguise pour pénétrer chez celui >;u'i] veut observer de près *. Je suppose que c'était aussi la forme priottlive de notre récit : le héros et ses compagnons s'introduisaient dMS leur bâte sous l'apparence de personnages vulgaires et faibles ; ils se vantaient d'exploits dont on les croyait bien incapables, et qu'ils exécutaient cependant à la grande surprise de leurs hôtes. Un reste de cette ancienne conception ' me parait s'être conservé dans notre cKanson ; tandis que plusieurs des gubs des pairs de Charlemagne sont pures tiintaisics, dignes des contes de fées, d'autres ne sont que des loun de force ou d'adresse qui dépassent, il est vrai, les facultés ordi- naires des homcnes, mais que la poésie a fort bien pu attribuer à ses Mros*.

Quoi qu'il en soit, en rapportant cette aventure à Charlemagne, notre poète 1*» sensiblement modifiée, soit pour l'approprier à ce nouveau c, soit pour la rattacher à l'autre partie de son poème. En en

I. P

,'mc allemand de Biterolf et DictUib (Xll* s.), le roi Bileroif, qui

nlcnd laire par un pèlerin une description si magnifique de la

' A la visiter, abandonne son royaume et sa femme, et

(. »|i. Ce début rappelle singulièrement notre chan-

\ 1 >uiic, ^.■i-i d'aventures assez peu liées, n'a aucun rapport. Il y

1 i>e un Heu commun épique, que le crois, ainsi que beaucoup d'autres

,„,,„v ,lr -.'sie, d'origine immédiatement germanique.

conte arabe cité plus haut. Dans la ballade de King 1 . - i ^ "''" t^oy- ci-dessus, p. i), Arthur et ses compagnons

l t^ p«ul r»ppro«h«" ^^ <* ''*'* succès inattendus que remporte Odys- i«n «KAXMiu cher *

« l\>M If !'.h<> [Rom4ma, IV, 401, 401, 414 ss.), Olivier,

HcMu iincnt aussi des actions extraordinaires dont ils

t>t»t; ■• de miracle, et on pourrait croire retrouver une

V Mitr des iijbt: mais il est beaucoup plus probable que

jn^cnicnl . rationaliste > (et, pour le gai d'Olivier, tout

!f* tonte; les Italiens l'ont connu par Galun (voy. ci-

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE I I

plaçant la scène à Constantinople, il s'est donné l'occasion de peindre celte ville merveilleuse et la cour du souverain byzantin telles que les concevait l'imagination populaire. De loin on voit resplendir les clochers, les dômes, les aigles d'or de la ville; à plus d'une lieue elle est environ- née de jardins plantés de pins et de lauriers, peuvent s'asseoir et se dtvcrtir vingt mille chevaliers et leurs belles « amies », tous magnifique- ment vêtus. Au milieu d'eux le roi Hugon, assis sur un siège d'or mer- veilleusement garni, porté par des mulets, conduit dans le champ les bœufs qui traînent sa charrue d'or. La richesse du palais est éblouissante : dans la grande salle voûtée tous les meubles sont en or ; les murs, entourés d'une bordure d'azur, sont couverts de peintures qui représentent toutes les bétes de la terre^ tous les oiseaux du ciel, tous les poissons et les reptiles des eaux. La voiite est supportée par un pilier d'argent niellé ; le long des murs se dressent cent pilastres de marbre niellé d'or' ; devant chacun d'eux sont deux enfants de bronze, qui ont en leur bouche un cor d'ivoire, et qui semblent être vivants ; quand la brise s'élève de la mer, la salle se met à tourner sur elle-même ; alors les enfants de bronze se regardent en souriant, et leurs cors sonnent doucement, « l'un haut et l'autre clair o ; en les entendant on croit ouir la voix des anges en paradis. Dans la chambre Charte et les douze pairs trouvent leurs lits préparés, chambre voûtée, peinte, ornée de pierres précieuses et de cristaux, reluit et flamboie une escarboucle, qui jette autant de lumière que le soleil au mois de mai ; les douze lits de bronze, si lourds qu'il faudrait vingt boeufs pour les remuer, sont garnis d'oreillers de velours et de draps de « cendal n ; le treizième, celui de Charlemagne, a des pieds d'argent et une bordure d'émail ; la couverture est l'œuvre d'une fée. C'est bien ainsi que l'imagination des Occidentaux, excitée par Icj récits des pèlerins qui avaient traversé Constantinople en allant en Tene-Saintc, se représentait la ville des merveilles. Au reste, ces récits <^ paraissent fantastiques sont encore, en certains points, au-dessous des magnificences puériles, bien faites pour frapper des esprits eux-mêmes très enfantins, qui s'étalaient réellement dans le palais impérial de Constanti-

K Cent colones i i tôt de marbre en estant,

Chascune est a fin or neelée devant. Le mot cûlùtie ou colombe en anc. fr. signifie « pilastre » au moins aussi souvent que colonne ». Ce qui me le fait ici traduire par « pilastre », c'est le fait que cts colotus étaient neelées Jtvant, niellées par devant, ce qui n'a de sens que pour des pilastres. Il faut donc se représenter les cent paires d'enfants en bronze comme garnissant tout le pourtour de la salle ronde, supportée au milieu par le grand pilier central {tslache, v. 349). Ce même pilier traverse aussi, sans doute a l'étage au-dessus, la chambre vont coucher les Français (voy. v. ^21, t*U auckct, et enfin se termine au-dessus de tout l'édifice qu'il couronne [En soma ctlt tor sor cel ptler dt marbre, v. 607).

12

G. PARIS

nople. Qu'on se rappelle les descriptions laissées par les historiens du chrysotriclinium : « C'était une grande salie octogone à huit absides,

l'or ruisselait de toutes parts Dans le fond s'élevait une grande croix

ornée de pierreries, et tout à l'entour des arbres d'or, sous le feuillage desquels s'abritait une foule d'oiseaux émaillés et décorés de pierres fines, qui, par un ingénieux mécanisme, voltigeaient de branche en branche et

chantaient au naturel En même temps se faisaient entendre les orgues

placées à l'autre extrémité de la salle '. » Je ne parle pas des fameux lions d'or qui se dressaient sur leurs pattes en rugissant ; mais ces oiseaux qui chantent sur des arbres d'or, cet orgue le vent des soufflets fait passer de suaves mélodies, n'ont-ils pas visiblement servi de type à la description de notre poème ? Ces merveilles furent exécutées au ix" siècle ; Liudprand, qui les vit au x', nous dit que les arbres d'or étaient simplement en bois doré ; mais cela ne changeait rien à l'aspect, qui dut rester pareil jusqu'à la prise de Constantinople par les Francs. La salle sont dressés les treize lits des Français semble aussi devoir quelque chose au souvenir du Tridinium aux onze lits, dans le même palais, oïl des colonnes d'argent supportaient au-dessus du lit réservé à l'empereur les plus riches draperies.

Depuis le jour Charlemagne avait restauré l'empire d'Occident, et, en établissant sa domination sur presque toute l'Europe romane et germanique, avait donné au monde latin, pour la première fois depuis des siècles, une sécurité relative et une organisation politique, les rapports entre l'empire grec et l'empire franc étaient devenus assez nombreux. Ces rappons n'eurent que peu d'importance politique, mais l'influence qu'ils exercèrent sur les mœurs, sur les arts et sur la littérature de l'Occident est considérable, et, au moins dans ce dernier domaine, n'a point été assez remarquée, Les recherches les plus récentes tendent chaque jour plus décidément à montrer dans les Byzantins les grands intermédiaires entre l'Asie et l'Europe pour ta pro- pagation des contes merveilleux ou romanesques qui forment la matière d'une science encore bien jeune, la mythographie comparée. Mais en outre les deux peuples se plurent de bonne heure à inventer ou à modifier des récits antérieurs pour s'attribuer dans leurs rapports la supériorité l'un sur l'autre. C'est ainsi que le moine de Saint-Gall, au ix< siècle, en répétant un conte assez piquant rapporté de Byzance en France par un ambassadeur de Charlemagne, y attribue le principal rôle à cet ambas- sadeur lui-même, et ajoute avec complaisance : « Voilà comment ce Franc subtil triompha de la Grèce orgueilleuse'. » Nous avons dans

I . F. de Lastcyrie, Histoire dt i'orftvrerU, Paris, Hachette, p. ^9-60. i. Voy. Ronunia, IV, 478.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE i;

notre poème quelque chose d'analogue. Au milieu des splendeurs paci- fiques de la cour de Constantinople, Charle el ses pairs semblent un peu grossiers ; leur ébahissement à la vue des merveilles de la salle tour- nante amuse les Byzantins ; peu faits aux raffinements d'une table somptueuse, ils s'enivrent au souper royal et se livrent le soir à des gaietés assez déplacées ; mais, grâce à la protection divine, ils jettent à leur tour leurs hôtes dans la stupeur, et quand les deux rois se promè- ntnt côte à côte,

Charlemaines fut graindre plein piet et quatre poiz.

C'est la revanche que prennent sur le faste el la science des Grecs la force, l'adresse des Francs et surtout l'amitié particulière que Dieu a pour eux. Les sentiments et les descriptions de cette partie du poème peuvent convenir à toute la période qui va du x' siècle à la fin du xii" '; cependant il serait singulier qu'un poème fait après les croisades n'eût pas sur et particulièrement contre les Grecs quelque trait plus spécial et plus méprisant. Depuis les difficultés qu'amenèrent naturellement ces expéditions, il y eut entre les Grecs et les Francs une méfiance et une haine à peu près constantes, qui se font jour dans un grand nombre de productions littéraires du temps, et qui aboutirent enfin à la catastrophe de l'an 1 204.

Venons à Charlemagne et à ses compagnons. La manière dont le poète se représente le grand empereur est en partie conforme à la plus ancienne et à la plus noble tradition, en partie, au moins suivant notre manière de voir, absolument opposée : le Charlemagne de notre chanson a un pied dans le sublime et l'autre dans le ridicule. Notre vieille poésie héroïque n'a rien trouvé de plus beau, pour représenter la majesté presque sainte de Charle et de ses « pairs », que la scène de l'église de Jérusalem ils prennent la place de Jésus et de ses douze apôtres (voy. ci-dessous, p. 2^1 : rien ne symbolise avec autant de grandeur et de

I. Un poème allemand très singulier, U Roi Rolhtr, présente avec notre chan- son de remarquables analogies en ce qui touche les rapports des Latins (parmi lesquels le poète range sans hésiter ses héros) el aes Grecs. Le style général et le ton de Rothcr ont un caractère fort archaiquc (il ne s'agit que de l'original, dont nous possédons seulement un rifacimentoi, el on serait tenté de le placer i la même époque que le P'ckrinaec. Mais il paraît bien probable

3ue Wilken {Ctuh. dcr Krcuzzàge, t. I, p. 461) a eu raison de reconnaître, ans l'épisode Asprian, géant au service de Rother, tue un lion familier de l'empereur grec dans la salle oili il prend son repas, un souvenir d'une circonstance du passage des premiers croisés i Constantinople, où, dans une de leurs nombreuses querelles avec les Grecs, ils tuèrent un lion apprivoisé d'Alexis. Rothtr aura donc été composé après la croisade, et on pense que les

Suelcues traits précis qui s'y trouvent sur Constantinople, comme la mention e l'nippodrome (podcramui), tiennent à ce que l'auteur avait passé par la ville grecque lors de la croisade de Conrad en 1 147.

14 C. PARIS

naïveté le rôle prêté par l'admiration populaire à celui qui devait plus tard être appelé saint Charlemagne. M. Koschwitz a déjà remarqué combien il y a de rapports entre le Charlemagne de notre poème et celui de la Chanson de Roland. « De même que, dans Roland, Charle est pré- venu à l'avance des malheurs qui le menacent par des songes prophé- tiques, ici il est amené par un songe à visiter Jérusalem <. De même que dans Roland un ange apparaît pour lui annoncer l'aide divine qui lui permettra d'accomplir sa vengeance, un ange descend aussi du ciel pour lui promettre le secours de Dieu '. « Charle est entouré du respect et de l'admiration des siens ; le seul roi du monde auquel on ose le comparer se trouve, à l'épreuve, inférieur à lui en tous points ; non moins pieux que puissant, courageux et sage, il construit à Jérusalem une église pour les Latins, rapporte en France des reliques inappré- ciables, et reçoit des messages de Dieu même, qui fait des miracles à sa prière.

Certains traits font avec ceux-là un contraste qui nous semble étrange. Au début du poème nous voyons le grand empereur se pavaner devant toute sa cour avec sa couronne sur la tête et solliciter l'admiration de sa femme i ; et comme elle déclare connaître un roi auquel sa couronne sied mieux encore, il s'emporte, ei part pour aller se mesurer avec ce rival, jurant que si la reine n'a pas dit vrai, il lui tranchera la tête au retour*. Les merveilles du palais de Constantinople ne l'ébahissent pas moins que ses compagnons ; quand la grande salle se met à tourner au souffle du vent, il tombe par terre comme les autres, se cache la figure et dit au roi Hugon : « Sire, cela ne va-l-il pas bientôt finir ? » Enfin le soir au souper il boit aussi largement que les douze pairs, leur donne l'exemple des gabs, et n'éprouve aucune honte à dire le lendemain pour excuse :

Del vin e del claret fumes erseir tuit ivre.

Cette singulière disparate a frappé les critiques modernes. « La pre- mière partie de ce poème, dit M. Léon Gautier, est parfois sublime et

1 . Jo l'ai ireis feiz songicl, nui i covUnt aUr [y. 7 1 ). C'est ainsi que dans Turpin saint Jacques apparaît trois fois en songe à Charlemagne pour lui ordonner d'aller en Calice. Ce trait se retrouve plus d'une fois dans le cycle carolingien ; voy. Hisl. poil., p. 48^; Karlamagnàs-Saga, dans la Bibt. Ec. Ch. 5, VI, }8. Au reste, dans notre poètne, concis jusqu'à être elliptique, le songe de l'empereur n'est pas autrement rapporté.

2. Roman. Studun, 1. c, p. 42.

). Il la prist par le poin desoz un olivier ; De sa pleine parole la prist a araisnier : f Dame, veistes onkes home nul desoz ciel Tant bien seist espéc ne la corone el chief? » 4. La tradition arabe ne se faisait pas plus de scrupule, comme on l'a vu, d'attribuer à Haroun al Raschid la même vaniti et le même emportement puéril.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMACNE I ^

vraiment épique ; la seconde obscène et ridicule. » M. Molanda vu dans le Pèleùnigt une parodie des chansons de geste. M. Koschwitz est allé plus loin encore : il l'a regardé comme une satire de la poésie épique, et a voulu l'attribuer à un clerc qui aurait eu l'intention de jeter le ridicule sur les jongleurs et leurs chansons. Cette opinion n'est pas soutenable '. Si jamais poèrae fut véritablement populaire, c'est assurément celui-ci, la géographie et l'histoire sont traitées avec une égale fantaisie', il n'y a pas lieu davantage à y reconnaître une satire, ni même une parodie : les parties sévères et nobles du poème excluent cette hypothèse. La disparate tient simplement aux deux sources différentes auxquelles l'auteur a puisé: d'une part le conte des gabi , primitivement étranger à Charlemagne, d'autre pan la tradition du Charlemagne épique. Avec la naïveté populaire, il ne s'est pas rendu compte de l'opposition- intime qui existait entre ces deux matières, et sans doute, même dans la partie comique de son poème, il n'a nullement eu l'intention de bafouer le grand empereur. Il ne lui semblait pas aussi ridicule qu'à nous que Charlemagne eôt la pré- tention d'être le plus gracieux porte-couronne de son temps, ni qu'il voulût couper la tête à sa femme pour avoir révoqué celte supériorité en doute ; il ne trouvait nullement dégradant pour l'empereur de s'enivrer el de gjbcr à cœur joie avant de s'endormir : l'important, pour l'hon- neur de la France et de son chef, c'était que le roi de Paris fût vraiment plus majestueux et plus puissant que le roi de Constantinople, et que par la protection divine les gabs les plus aventureux fussent accomplis. Il en est dans le poème de l'admiration pour Charlemagne comme du sentiment religieux, si différent de celui que nous concevons. M. Gau- tier se sent â juste titre révolté du dénouement miraculeux de l'aven- ture : o Que dire, s'écrie-t-il, du poète qui fait intervenir la puissance divine dans l'accomplissement du gab d'Olivier ? Qu'est-ce que ce Dieu, descendant du ciel pour sanctionner de tels crimes et protéger une telle obscénité P « Ni le poète, ni ses contemporains, ni ceux qui ont imité ou traduit son spirituel ouvrage n'ont pris les choses tellement au tragique : Dieu aime tant Charlemagne et les Français qu'il les tire même des embarras les plus mérités et les moins édifiants ; voilà ce qui réjouissait no» pères et ce dont l'équivalent flatterait encore l'amour-propre popu- laire. Il faut cependant reconnaître que l'attribution à Chariemagne de semblables gaietés indique un milieu différent de celui de la grande poésie

1. M. fCoschwitz y a maintenant renoncé : voy. sa préface, p. 20.

2. Le nom tout français (germanique d'origine) de Hugue ou Hugon donné lu souverain de Constantinople (il est appelé, comme Chariemagne, tantôt roi, Unt6t empereur) est une des bizarreries les plus frappantes. On est tenté de rapprocher ce roi Hugon de Hugdieiricli (Hugo Theodoricui) qui, dans le poème auemand de ce nom, règne ùl Constanlioople.

li

{

{6 G. PARIS

épique : l'auteur du Roland aurait secoué la tête à ces badinages hardis. Nous verrons en effet que la chanson du PHtnnagt de Charlemagne s'adresse à un public autre que celui des grands poèmes nationaux ; elle a déjà, bien que fort ancienne, été composée à une époque ces poèmes existaient depuis longtemps ; enfin, au lieu de s'appuyer sur une tradition héroïque antérieure, elle n'est qu'une création de la fantaisie d'un poète qui a réuni des éléments disparates et qui s'est proposé de faire rire autant que d'intéresser et même d'édifier. Seulement, et c'est ce qu'il faut bien retenir, il a voulu faire rire non aux dépens de Charlemagne ou de la poésie épique, mais bien aux dépens du roi Hugon, c'est-à-dire, en général, de ceux qui prétendraient être plus puissants, plus magni- fiques ou plus malins que les Français. Par l'esprit qui l'anime, par son mélange de bonhomie et de. fanfaronnade, par ta malice naïve de son style, par plus d'un trait de détail, le PHtmage nous apparaît comme un précurseur du charmant roman de Jtan de Paris.

Le récit du pèlerinage proprement dit est, après le conte des gabs, le second élément de notre chanson. L'idée d'un voyage de Charlemagne en Orient ne peut nous servir à rien pour fixer une date. Répandue dès le X' siècle au moins, cette idée était, on le sait, si populaire au moment des croisades que les compagnons de Pierre l'Ermite croyaient retrouver le long du Danube la route qu'avait construite le grand empereur ', et que de graves historiens appelaient la première croisade la seconde, Charlemagne ayant fait la première. La pensée du grand empereur dominait tellement les premiers croisés qu'ils le crurent même ressuscité exprès pour prendre part à leur expédition ^ On ne s'étonnera donc pas qu'un poème sur ce sujet ait été composé dans le xt* siècle. Mais ce qui est bien digne de remarque, c'est la manière dont le poème que nous

1. Il s'agissait évidemment de la ruule romaine qui longeait le Danube, route commencée par Tibère, conlinuée par Trajan, el menée par Constanlin jusqu'à Byzance.

2. Vov. les témoignages réunis dans mon Htst. poil., p. j 57 ss.; Hagenraeyer, EkkeharJi Huroiolymita (Tubingen, 1877), p. ijo-iai. La longue note de M. Hagenmcyrr sur le passage d'Ekkehard d Aura est fort instructive, mais il m'adresse à ce propos (p. 413) une critique qui me paraît très peu fondée. Ekkehard dit (Xi, 2) : t Inde fabulosum illud confictum est de Karolo Magno quasi de mortuis m id ipsum resuscitato et alio nescio que nihilominus redi- vivo. J'ai traduit (Hist. poèt., p. 427) : c C'est d'eux que vient ce conte de Charlemagne ressuscité des morts pour la croisade, et de je ne sais que! autre aussi qui serait revenu i la vie. <■ D'après M. Hagenmeyer, j'aurais fait un contre-sens, car pour traduire ainsi il faudrait que di fût répété avant alio. 11 est vrai que cela serait plus clair ; mais si Ekkehard a mal écrit, ce n'est pas ma faute. D'après son éditeur, il faut « sans aucun doute suppléer le mot ioco et rapporter rtdmvo à Charlemagne. » Je serais curieux de voir quelle traduc- tion on pourrait donner du passage ainsi complété, et ce que signifierait nthilominui.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 17

avons se représente le voyage de Charlemagne. On peut affirmer qu'après l'expédiiion de Godefroi de Bouillon et l'impression incomparable qu'elle produisit sur les esprits une telle conception n'aurait plus été possible. O'abord il ne s'agit pas de croix : ce signe, indispensable depuis 109^, cit encore inconnu au poète '. Mais ce qui est le plus frappant, et ce que n'a pourtant relevé aucun critique >, c'est le caractère absolument paci- fique de l'expédition : il s'agii bien d'un pèlerinage et non d'une con- quête. Le poète dit expressément, en nous décrivant l'équipement de l'empereur et des Français (v. 79) :

N'i ont escuz ne lances ne espées Irenchanz,

Mais fuz ferez de (raisne et escrepes pendanz ^.

C'est parce que les douze pairs sont désarmés qu'ils se trouvent si penauds devant les menaces du roi Hugon. On pense bien qu'il n'y aurait pas besoin de miracle pour défendre Charlemagne, Oger, Olivier et Roland s'ils avaient à leur côté Joyeuse, Courtain, Hauteclère et Duren- dal. C'est pour cela aussi que ceux des pairs qui, pour l'exécution de leurs gabs, ont besoin d'armes, offensives ou défensives, empruntent celles de leurs h6tes (voy. les vers 4^, 471, 5}}. Î9î> 604) ; enfin c'est ce qui fait tout le piquant du poème et qui explique la joie de Charlemagne, K.i tel rei at conquis senz bataille champel (v. 859),

Ce ne sont pas seulement les armes qui manquent à ces guerriers devenus pèlerins : ils ont changé leurs destriers de guerre contre de paisibles mulets (v. 89, 240, 275,298, SjO't). Or nous trouvons dans

1. Les versions galloise (Koschwitz, p. 21) et norvégienne (p. 468I disent expressément que Charlemagne et les siens prirent des croix. Dans les poèmes postérieurs aux croisades des héros partent pour la Terre Samie, ils ne man- quent pas de marquer leurs vêtements d'une croix.

2. M. P. Paris remarque cependant que les Français sont « armés non de lances et d'épées, mais de simples bâtons. 1 Mais i) ne tire pas de conclusions de cette circonstance.

}. Cela n'empêche pas M. L. Gautier de dire expressément que Charlemagne

emmène » quatre-vingt mille hommes armés. » La version galloise paraît

n'avoir pas compris ces vers, ou peut-être avoir suivi un texte déjà modifié. Elle dit ip. 21) : < Bien qu'ils eussent beaucoup d'armes de toute sorte^ la bonté du roi les rendit encore plus riches en leur oonnant des colles de mailles, des épées, des heaumes et autres armes nécessaires. » La Saga est plus fidèle : Ils laissèrent leurs armes et prirent des bourdons dans leurs mains. » Le Galien suppose, comme nous le verrons plus loin, les pèlerins armés.

4. Il est vrai qu'on lit au v. ^40, quand les pèlerins arrivent au palais du roi Hugoo, que les gens du roi allèrent à leur rencontre, et

Receurenl les destriers e les forz mulz amblanz ; mais dtUrieis est une faute du scribe pour somius; cf. v. 850 :

Les mulz e les somiers lor tint on as perons. Lev. 81 :

Les destriers font Terer e detrés e devant, Romtnla, IX 2

l8 C. PARIS

cet ëquipement la représentation fidèle de ce qu'étaient les pèlerinages en Terre-Sainte avant les croisades'. L'Église regardait ces voyages comme absolument pacifiques, et plus tard même elle ne fit exception à cette règle que pour les combats contre les infidèles ; toute autre guerre était sévèrement interdite aux pèlerins même armés, et ce fut, comme on sait, la cause de la grande dissidence qui éclata entre le pape et l'armée réunie pour la quatrième croisade, quand les Vénitiens induisirent cette armée à prendre Zara au roi de Hongrie pour leur compte. Il était vrai- semblablement interdit aux pèlerins, avant le concile de Clermont, de porter aucune arme'. Les pèlerinages, ordonnés le plus souvent comme pénitence, devaient aussi s'accomplir avec la plus grande humilité : les riches vêtements étaient remplacés par l'esclavine; on permettait le mulet, monture essentiellement pacifique ' ; mais la plupart des pèlerins se contentaient du « fût ferré », auquel on donna par plaisanterie le nom de bourdon, qui signifiait primitivement « mulet n *. L'idée de disputer par les armes le tombeau du Seigneur aux infidèles est encore si peu entrée dans les esprits à l'époque de notre poème que, le patriarche de Jérusalem invitant Charlemagne à combattre les Sarrazins, celui-ci

'ui promet d'aller les attaquer en Espagne, ce qu'il fit plus tard

comme il l'avait dit, ajoute le poète ». Au reste l'auteur laisse dans un vague calculé la situation de Jérusalem par rapport aux musulmans ; il semble se figurer la ville sainte comme indépendante sous l'autorité du patriarche. Cela ne peut guère nous amener à fixer une date, parce qu'il a évidemment voulu représenter les choses autrement qu'elles

est aussi certainement une erreur ; mais je ne sais comment la corriger; je crois le vers entier interpolé : on ne le retrouve ni dans K ni dans H. Au reste H ne connaît que des chevaux comme monture des pèicnns ; K. parle au départ de Paris al de chevaux et de mulets, au départ de Jérusalem 3) et de Constantinople 18) de chevaux seulement. Le Catien ne connaît naturellement que des chevaux.

1. Le pèlerinage de Robert de Normandie, tel que le raconte Wace, est l'image exacte de ce Qu'étaient ces pieux voyages au XI' siècle. J'aurai occa- sion de reparler procnainemenl ici de ce curieux récit, qui s'appuie peut-être sur un poème plus ancien et qui a un autre point de contact avec le nôtre : nous y retrouvons la rivalité entre les Grecs et les Francs à Constantinople ; mais c'est Robert qui éclipse de beaucoup le roi byzantin en magnificence et en courtoisie.

2. Il semble bien que les pèlerins allemands de io6j eussent de^ armes, mais ce n'était qu'un petit nombre d'entre eux, et en toutes choses ils ne se confor- maient guère aux habitudes des pèlerins (voy. Rœhricht, Beinagt zur Cesch.dcr Krcuzzûge, t. Il, p. j).

5. Dans le Roland (v. 89) et ailleurs les porteurs d'un message de paix mon- tent sur des mulets. Robert de Normandie fait son pèlerinage monté sur un mulet, comme Charlemagne et ses pairs.

4. Voy. Du Cange, s. v. burJo, Diez 1 1, s.v. h>rdoiu. Cette étymologie n'est cependant pas assurée; cf. Littré, s. v. bourdon.

). Cette remarque a déjà été faite par M. P. Paris.

UA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMACNE I9

n'étaient de son temps, et exclure la possibilité d'un combat entre Charle- magne et les Sarrazins qui n'était pas dans son plan. Mais après que les croisas eurent enlevé Jérusalem aux Turcs, quand touie l'Europe croyait que Charlemagne les avait précédés avec ses preux et se repré- sentait son expédition à l'image des croisades, il aurait été impossible de tracer de la ville sainte un tableau si contraire à ce que tout le inonde en savait. Celui qui ressort de notre poème peut au contraire assez bien se concilier avec les notions qui devaient être courantes en Occident quelques années avant les prédications de Pierre l'Ermite, avant que les sévices des Turcs, nouvellement maîtres (1076) de Jérusa- lem, contre les chrétiens et surtout contre les pèlerins francs, eussent rempli l'Europe d'indignation et préparé la grande explosion de 1095 '. Jusqu'à cette époque en effet, au moins depuis 1012, les chrétiens vivaient à Jérusalem dans une sorte d'indépendance ; les patriarches avaient de l'autorité et déployaient à l'occasion un faste qui indique une sécurité complète ' ; les pèlerins venus d'Occident étaient librement admis moyennant une faible redevance, et trouvaient un accueil empressé chez leurs coreligionnaires 5. Ce sont leurs récits, comme on l'a déjà remarqué plus d'une fois, qui ont propagé la croyance à un pèlerinage (plus tard à une croisade) de Charlemagne : n'étaient-ils pas reçus dans l'hospice qu'il avait fondé pour eux, près de l'église Sainte- Marie Latine, construite par lui ? Il fallait donc qu'il fût venu dans la ville sainte , et sur ce thème on broda des variations très diverses. L'auteur de notre poème s'est certainement inspiré de ces récits des pderins : c'est sur le modèle de leurs expéditions qu'il a représenté celle de Charlemagne^, et c'est d'après eux qu'il a inséré dans son poème les curieux renseignements qu'il donne sur Jérusalem.

I. Les mimn données peuvent conduire â des conclusions bien différentes. Ce qui prouve pour moi l'antiquité de notre chanson atteste sa date récente aux yeui de M. Léon Gautier. Conslatjnt que pour l'auleur du Roland Jérusalem appartient auc Sarrazins, il ajoute : « Au siècle suivant, l'auteur du Voyage À Jtnualtm nous représentera la cité sainte comme une ville au pouvoir des cnré- litns. avec un patriarche libre et honoré; mais c'est que très évidemment il écrirait après la fondation du royaume latin de Jérusalem. L'auleur du Roland eût pu, je pense, être son père. » Ch. Je Roland, éd. de 1872, p. Ixij.

a. Ingull raconte ainsi l'arrivée des pèlerins de 1065 (voy. ci-dessus, p. 18, n. 2)i Jérusalem : 1 Ab ipso tune patriarcha,Sophronio nomine, viro veneranda canilie honntissimo ac sinctisstmo. grandi cymbalorum sonitu et luminarium immenso lulçore suscepli sumus (Fell, Rcr. finglic. Sciiptores, t. 1, p. 7^1.

j. On croirait lire la traduction de quelques vers de notre chanson oans ce pauage de la vie de Ricliard de Saint-Vanne, qui visita Jérusalem vers l'an 1022 : < Gccurrit ei venienti patriarcha Hierosolymitanus; audierat enim famam epis omnium cre celebratam ; et consalutati mutuo, daio pacis osculo, laetati tunt in D. - r,SS. VIII, 210). .

4. Ces ; , da XI" siècle furent souvent de véritables expéditions

bites par de mlliers d'hommes (voy. Rcehricht, Dit Pilga/ahrtcn vor dtn Krcuz-

20 C, PARIS

Ces renseignemer.ts sont bizarres, incohérents et fragmentaires, mais ils ne sont nullement, comme on pourrait le croire, de pure imagination. Il est très singulier que l'auteur, qui fait dire expressément à Charie- magne qu'il part pour adorer « la croix ' et le sépulcre (v. 70) », et qui termine son récit en racontant que l'empereur pardonne à sa feanne

Por l'amor d«l sépulcre que il ad aoret, ne mentionne pas expressément le sépulcre (ni la croix] quand il parle de la visite et du séjour de Charlemagne à Jérusalem. Ce qu'il dit de la ville sainte contient d'ailleurs, à c6té de celte étrange lacune^ et de confusions non moins étranges, des réminiscences singulièrement pré- cises du récit d'un paumier quelconque. Trois traits bien distincts de ce récit paraissent mêlés par le poète : la description d'une riche église byzantine, ornée de peintures et de mosaïques représentant entre autres des processions de saints et de saintes, la mention du lieu de la cène transformé en église, et celle d'une autre église élevée à la place fut enseignée aux disciples l'oraison dominicale. Examinons chacun de ces trois points. Les Francs arrivent à Jérusalem, et quand ils ont u pris leurs herberges », ils vont a al mostier », dont ils admirent la magnificence :

Molt fu liez Charlemaines de celé grant bdtet :

Vit de cleres coiors le mostier peinturet.

De martres et de virgenes et de grant raajestel.

iiigen, dans le t. V de la V' série de VHistOfisches Taschtnbuth de Riehl, p. 521 ss.). Les pèlerins revenus en Europe y rapportèrent bien des notions semblables à celles qu'a conservées notre poème. Les étapes de la route, notarament, étaient assez souvent citées pour être généralement connues. C'est ainsi que la forme Laita (Laodicée), évidemment populaire et non prise dans les livres, se trouve déjà dans YAltxts (voy. ci-dessus^; c'est ainsi, a mon avis, que la mention de Buientrot ne prouve rien contre l'antiquité du Roland (cf. Rom.^ VII, 4)5)» sur- tout mise en regard de l'ignorance générale est ce poème de tout ce qui concerne l'Urient. De même les pèlennages en Galice avaient fait connaître par- tout les étapes du chemin de Saint-Jacques » (voy. Rom., IV, jiS); l'auteur du second Titurd dit : Swcr in Gaittz ist gcwesm, Der wctz wol San Salvator und Sahjtcrrc (éd. Hahn, 506). De même Wolfram d'Eschenbach connaît sur le saint cimetière d'Arles, lieu de pèlerinage marqué dans les Itinéraires ad hoc (voy. Hist. liH. d( h France, t. XXI, p. 285!. des légendes pieuses qui ne se trouvent nullement dans le poème d'Aliicam qu'il imitait.

1. Adorer la croix était en effet un des grands motifs des pèlerinages à Jéru- salem. A vrai dire, la croix découverte par Hélène et reconquise par Héraclius sur Cosrocs n'existait plus depuis le Vil* siècle iRohault de Fleury, Mém. sur Us instruments Je la Passion, p. jy) ; on l'avait brisée en morceaux pour la soustraire aux infidèles, et ces morceaux avaient été dispersés ; mais on paraît avoir exécuté i Jérusalem des simulacres de croix, dans lesquels on avait enfermé des parcelles plus ou moins authentiques. C'est l'un d'eux qui tomba, en 1 1S7, au pouvoir de Saladin, à la bataille de Tibériade, et que les auteurs du temps désignent comme < la croix •.

2. Elle se remarque dans toutes les rédactions; voy. cependant la note 2 de la page suivante.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMACNE 21

Et les cors de la lune et les festes anvels, Et les lavacres corre el les peissons par mer '.

Il est difficile de dire quelle église, au xi" siècle, pouvait à Jérusalem répondre à une telle description. Les basiliques élevées par Constantin, détruites en 1012 lors de la prise de Jérusalem par les Perses, relevées ensuite à deux reprises, mais avec une simplicité toujours plus grande, avaient-elles, vers 1070, conservé assez de splendeur pour justifier l'admiration exprimée ici i* On a beaucoup de peine à le savoir dans la grande pénurie des renseignements que nous avons sur l'état de la ville uinte précisément à cette période. C'est peut-être de l'église du saint sépulcre que le poète a voulu parler en disant simplement ■< l'église )>'. Mais il y a réuni deux souvenirs qui se rapportaient à de tout autres lieux. « Là, dit-il, il y a un autel de sainte Paterncstre. » C'était une église située hors de la ville, sur le mont des Oliviers, qui s'appelait Sainte Palet nostre, comme nous l'apprend la description française du m* siècle : « Sor le tor de celé voie a main destre avoit un mostier c'on apeloit Sainte Paternostre : la dist on que Jesucris fist la paternostre et l'ensegna a ses apostres 3. » Il ne faudrait pas croire que ce nom indique une époque postérieure aux croisades : quand les premiers croisés arri- vèrent devant Jérusalem, ils firent sur le mont des Oliviers une proces- sion solennelle, in loco, dit Albert d'Aix, ubi DominusJcsuscoclos ascendit, ddnde procedenUs alio in loco ubi discipulos suos Pater noster orare docuit*. Ainsi l'attribution à ce lieu de l'oraison dominicale est antérieure à la conquête de Jérusalem, et par conséquent le nom de Sainte Paternostre devait être familier aux pèlerins français dès le xi" siècle. Quant à l'église, elle fut sans doute plusieurs fois détruite et restaurée depuis le viij* siècle, saint Willibald nous dit : « !n monte Oliveli est nunc eccle- iia ubi Dominas ante passionem orabati. » C'est en effet le même lieu, la tradition voulait que Jésus, dans la nuit de son arrestation, eût prié et enseigné ses disciples, qui devint plus tard, par une confusion fort explicable, celui il avait appris à ses disciples l'oraison dominicale :

1. M, Fœriter (éd. KoschwitZj p. 107I juge ce dernier vers altéré, et il a uns doute raison ; mais le mot lavacrts devait être dans l'original ; le copiste ne l'aura pas introduit. Il aura plutût fait un vers de deux ou plusieurs : Et les Ijtactts serait le commencement, seul sauvé, d'un vers perdu. Lavacres aurait le sens de fonts baptismaux.

2. Le Galitn, dans ses deux rédactions, dit expressément ici qu'il s'agit de féglise du saint sépulcre.

j. Tobler, Detcnptiones Tarât Sanclat ex saeculo VJII, etc., p. 222.

4. Cf. Tobler. die Siloahtjaelle und dir Oelberg, S. Gall, 18^2, p. 240. Edrisi (cité ib.) l'appelle Bdlernoister. On montrait au Xl° s. (d'après Ssewuif, cité ib. p. 241} une table de marbre sur laquelle te Seigneur avait écrit roraisoa dominicale.

5. Tobler, Dacriptioms, p. 55-

23 C. PARIS

les mots locus orationis dominicae, locui ubi Dominas discipulos docuit,

suggéraient pour ainsi dire d'eux-mêmes cette méprise ' . Notre poète ne s'en tient pas ; dans cette même église, a été pour la première fois prononcée la prière par excellence, « Dieu a chanté la messe, et les apôtres après lui ; leurs douze chaires y sont toutes encore : au milieu la treizième, bien close et scellée. » Ce souvenir se rapporte évidem- ment à l'église appelée Sainte Sion, considérée comme occupant la place du cénacle, Jésus, en partageant le pain et le vin, avait institué le sacrement de l'eucharistie, ce qui, pour le poèie populaire, devient tout naturellement la première messe célébrée par Dieu lui-même *. Le pèle- rin du vi" siècle connu sous le nom de Théodore nous parle déjà presque de même de celte mater omnium ecdesiarum , sur le mont Sion, ^iwm

Dominas nosicr Christus cum apostolis fundavit Ibi docebat Dominas

discipulos suos, ijuum coenavit cum m', On a sans doute le point de départ de la description de notre poème. « Lau li mostiers est, nous dit le texte français déjà cité en parlant de l'église de Sion, fu la maisons u Jesucris cena avec ses apostres le juesdi absolu, et fist le sacrement de l'autel 4. » D'après un auteur qui parait du xii* siècle, on y montrait la table qui servit à la Cène i. Jean de Wurzbourg nous apprend que dans l'église élevée à cette place le Seigneur était représenté prenant son der- nier repas'' au milieu des douze apôtres?. L'église qui s'élevait était en ruines quand les croisés arrivèrent devant Jérusalem, hors des portes de laquelle elle se trouvait ^ ; mais elle fut promptement relevée.

Quoi qu'il en soit , l'auteur a su tirer de ces souvenirs à la fois précis et confus un merveilleux parti, que lui suggérait le rapprochement qui s'offrait naturellement à son esprit entre Charlemagne entouré de ses douze pairs et Jésus entouré de ses douze apôtres : « Charle, dit-il.

1. Le terrain du PaUr Nouer a élè acheté en 1868 par la princesscdela Tour- d'Auvergne, (jui y a fait construire une église et un cloître. On a trouvé plu- sieurs antiquités en creusant les fondations. Le lieu le poète du XI' siècle se représentait Charlemagne assis avec les douze pairs apparlicnl donc à la France.

2. Anionin de Plaisance, au VI* siècle, va presque aussi loin. Parmi les reliques merveilleuses qu'il vit dans celte même église du Cénacle, il cite le calice in quo post resurrectionem Domini missas celebrarunt apostoli (Ed. de la Soc. de lOr. latin, p. 104I.

;, Tobler, Palatuinat Dtscriptiones ex taeculo IV., V. et VI Paris, Franck,

1869, p. J2. 4. Tobler, Descriptiona ex sattulo VIII, etc., p. 198. <. Tobler, ib. p. lo?.

6. Ce renseignement s'applique il est vrai à l'église restaurée au XII' siècle ; mais cette peinture, ou plutôt mosaïque, pouvait fort bien provenir de l'ancienne église, dont l'intérieur, au dire du témoin cité plus haut, était encore splendide au XI' siècle.

7. Tobler, ib, p. 156.

e. On pourrait encore songer i l'emplacement dit du Credo; maison y ratU- chait U présence des apôtres réunis, et non celle du Seigneur.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMACNE 2)

entra dans l'église, le cœur rempli de joie ; dès qu'il vit ia chaire du sei- gneur, il marcha droit vers elle ' . H s'y assit et se reposa quelque temps ; i ses côtes, autour de lui, prirent place les douze pairs : avant eux, aucun hoxntne n'avait osé s'asseoir sur ces sièges, aucun ne s'y est assis depuis. Charte admirait la splendeur de l'église ' ; il avait levé son fier visage. l^n Juif), qui l'avait suivi de loin, entra dans l'église; il vit Charle et se prii à trembler : si fier était le regard de l'empereur qu'il ne put le sou- tenir ■♦: il faillit tomber à la renverse, et, s'enfuyant vers le palais du patriarche, il monta d'un élan tous les degrés de marbre : « Sire, dit-il au patriarche, allez à l'église; préparez les fonts ; je veux me faire bap- tiser aujourd'hui même. Je viens de voir entrer dans ce moutier douze comtes, avec eux le treizième : jamais je ne vis leurs pareils ! Je n'en doute pas, c'est Dieu lui-même; lui et les douze ap6tres, ils viennent vous visiter. «

Bien reçu par le patriarche, l'empereur séjourne quatre mois à Jérusa- lem, « y laisse des marques de sa munificence (v. 204 ss.) :

Quatre meis fut li reis en Jersalem la vile, Il e li doze per, la chiére compaignie ; Demeinent grant barnage, car l'eniperere est riches ; Comencet un mostier qui'st de sainte Marie ; Li home de la tere le claiment LaUnii^, Car li langage i vienent de trestote la vile; Il i vendent lor pailes, lor telles e lor sirges", Coste^, canele e peivre, altres Lones espices, E maintes bones herbes <jue jo ne vos sa! dire ; Deus est encore el ciel qui'n vueit faire justise !

(. Dans Gdlien, cette chaire s'incline miraculeusement devant Charle.

2. Fuerat mire opère fabricita ecclesia, antiquitus constructa, quod interius patel. Gisu Francorum expugn. Hier. 26.

j. C'est un chrétien dans Galien.

4. Ce passage est peut-être, avec un autre de Roland (v. 2271 ss,), la source de la belle légende qui représente un Juif tirant la barbe du Cid mort, assis dans un fauteuil au milieu de l'église, et puni de son irrévérence.

\. Le ms. porte h Ijunii. Dans la Saga : « Thd er landsfôlkit kallar sancte Marie Letanie (vjr. s. M. Letaniam, Scelantine ; suiJ. sancte Marie Latine; dan. Salatine). Ce vers manque dans H ; tout le passage manque dans Galiea.

6. Le ms. a lor uiUs < lor scrics (et non seirics, comme le dit par erreur M. Koschwiti. p. jol ; M. Fœrster corrige sires; â la vérité je ne connais pas d'exemple de lirc, au sens d'étoffe, et M. Fœrster n'en a pas trouvé non plus, Ljr dans les vers qu'il cite {Comte de Poit. p. 4, Biiaut, drap, chemise de sirt, Viol. [1. léi hliaut Je sire, p. 204 drap de syre), il faut écrire Sire {=z Syrie). Toutefois ces pa-rsa^es attestent l'usage d'étolTes syriennes, confirmé par le bas- laim lyicui ou sincas. Siruii s'emploie même absolument : dans un texte du XIV* s. cité par Du Cange on lit : Dixit etiam in sua supradtela ecclesia habere in iiricii pictum dictum beatum. Sirua a dCi donner en fr. sirge; cf. l'esp. sirgo.

7. Le costus, sorte de gingembre, était une des épices si appréciées dans la cuisine et la médecine du moyen Ige.

j, G. PARIS

L'exactitude de ce passage curieux a déjà été signalée. On l'a rappro- ché > du passage suivant de Bernard le Pèlerin, qui visita Jérusalem en 8os : « Recepti sumus in hospitale gloriosissimi imperatoris Caroli, in quo suscipiuntur omnes qui causa devotionis illum adeunt locum lingua loquentes romana : cui adjacet ecclesia in honore sanctae Mariae, nobi- li&simam habens bibliolhecam studio praedicti imperatoris, cum xii man- sùonibus, agris, vineis et horto in valle Josaphat. Ame ipsum hospitale e»t forum, in quo unusquisque ibi negotians in anno solvit duos nummos iUi qui illud providet '. » L'église fondée à Jérusalem par les soins de CharWmagne et restaurée au commencement du xi* siècle par les Amal- Atains s'appelait effectivement Sainte Marie Latine : les Grecs avaient-4k tait de ce nom Latinie, qui aurait pu désigner tout un quartier de la ville >, OM fuut-il corriger la Latine dans le vers cité, c'est ce qu'on peut se sl^nanUcr. La leçon Latenie convient mieux à l'interprétation que notre iH>^l«> donne de ce nom. On sait que latin signifie au moyen âge toute U»Kue (jtiangère, latinier un interprète ; de le vers

Cm li langage i vienent de trestote la vile, il /u/K-K^'» c'est-à-dire les gens pariant des langues étrangères. Le grand iu.«vhtf attenant à cette église est mentionné dans un grand nombre a»; tvxws i i«^ citerai seulement ici, après Bernard, la description fran-

^.\v slu X»* siècle : « A senestre del cange a une ruetote covertea vote yiui iH»n l^i rue des herbes ; la vent on tôt le fi-uit de la vile e les herbes

, iç^ v.o,i>Js!i<'s. Al cief de celé rue a un liu lau on vent le poisson, et deriére Iv (U.MSK' l-*u on vent le poisson a une grandisme place a main senestre lau

su wiH les ot^s e les fromages et les pôles e les annes. A main destre de

.'i ku.«i\K* s>v>nt les escopes des orfèvres suriens A main senestre

v»c« îv* v^^vvH'*** ^'*^* orfèvres latins. Al cief de ces escopes a une abeie de vi^s(4.*i*».t Apr^s celé abeie de nonains trueve on une abeie de moines ^niiA s \^> ■♦l'^'^*- ^•ii'*tf Marie le Latine. Après trueve on le maison de

»\, i», ■.<V'^u.V /. /.

ivvvvt, I I >> >>i,

^ \ -i- . x,i»Msi,>tt mnhriner cette interprétation, et en même temps rendre y .vV"' ' ^■'^^ ' «(\HNtitMt du nom de lalemt (letanit) soit à l'église de Sainte- V, ». x>"* »»* vj»>AMh'« >>{» rllr se trouvait, c'est le passage suivant de la chan- ^^. ^ ;„' , .V . .. ,nSI Hi|>|>c4U, II, p. }8). Pierre l'Ermite, du haut de la col- ,\^ v'tvA \^ v><>\. wsMitip AUX chrétiens les saints lieux de Jérusalem qu'ils

\>>v« :< k\MW \^\\ il Irs doctrina

A <«v>M>«tv nrui ijnuiifs que il lor enseigna. \ .o<' >•« '< « >'" •"<'**' l'^'t» comme dans notre chanson, mis en rapport xv>, '»•'''» '*>• ■> •• * <'••«••.»;''•'■ >• l«f l-dJuie, Lctaniam des mss. Scandinaves paraît , Kv w. >;• > »w t\>Hn»> ivimllr à celle de notre ms. ; il est vrai que d'autres ^j, , .,., V.. . -hn, ^doi» s. d. Im altérations Sa/jnfi/i« etSûlatine, voy. ci- X-vx.O •=•» ^ **'» >'«'»' •''H*''»**' """= variante comme une correction postérieure.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 2f

l'Ospital'. » Aujourd'hui encore, c'est au même endroit qu'on vend, csome au xi' siècle, les riches étoffes et les épices. « Dans l'immuable Orient, rien ne change, dit M. de Vogué, les mêmes emplacements

conservent les mêmes destinations Le marché du u(« siècle, comme

l'j^'ofj du temps de Constantin, comme le change et les achoppes des croisades, était à l'endroit se trouve maintenant le bazar L'hôpi- tal latin du ix' siècle était donc probablement sur l'emplacement

nous trouvons plus tard l'église Sainte -Marie Latine, l'hériiière et la continuatrice de l'oeuvre de Charlemagne, » Je crois que le savant écrivain commet ici une légère erreur : l'église de Sainte-Marie Latine est la même que celle dont parle Bernard en 865: les Italiens du XI' siècle n'ont fait que la relever ; l'hospice du ix= siècle n'était donc pas sur l'emplacement s'éleva plus tard l'église Sainte-Marie Latine» mais à c6té de l'église Sainte- Marie, fondée par Charlemagne, détruite

au X' siècle, reconstruite par les Italiens [hospitale Caroli cui adjacet

eecUsia in honore sanctae Mariae).

On voit avec quelle précision notre poète avait retenu certains détails do récit que lui avait fait quelque pèlerin de ses amis. Mais un trait bien remarquable de cette description c'est, à côté d'une exactitude si frap- pante, la confusion dans laquelle il tombe. Il semble croire que le mar- ché en question occupe la place même de l'église bâtie par Charlemagne, et s'indignant de cette profanation, il s'écrie : « Mais Dieu est au ciel, qui en tirera vengeance quelque jour. » Ce vers est extrêmement pré- cieux, parce que c'est le seul le poète, quittant le ton du récit, parle en son propre nom et exprime ses sentiments sur un fait contemporain. Il est clair que cette menace s'adresse à ceux qui occupaient Jérusalem au temps de l'auteur, c'est-à-dire aux musulmans ; elle n'aurait eu aucun icns à une époque la ville sainte aurait appartenu aux chrétiens, et d'ailleurs le poète n'aurait pu alors puiser dans des récits mal compris l'erreur que je viens de signaler et la colère qu'elle lui inspire. Le mar- ché attenant à l'hôpital et à l'église de Sainte-Marie Latine était si peu une profanation de la fondation de Charlemagne que l'hôpital, d'après Bernard, percevait au ix* siècle un droit sur ceux qui y exposaient leurs marchandises. Ce droit, octroyé sans doute à Charle par la gracieuseté de Haroun al Raschid, avait cenainement cessé d'être perçu au xi" siècle; les maîtres de l'hospice s'en plaignaient sans doute * ; les pèlerins pâtis- saient de la diminution des revenus de l'hôpital, et nous trouvons dans

I. Tobler, I, I. p. 201.

3. C'est pour cela que de bons pèlerin.^, revenus dans leurs pays, faisaient dès fondations en faveur de l'hôpital de Jérusalem. M. Saige a publie trois actes de ce genre, faits dans l'Albigeois en io3), 1084 et 108) [Bibl, £c. Ch., XXV, 5521

26 C. PARIS

les vers en question un écho de leurs récriminations mal comprises. Nous remarquons le même mélange d'exactitude singulière, d'incohé- rence et de confusion dans l'itinéraire que le poète fait suivre à ses héros; mais ici les difficultés sont rendues inextricables par l'évidente altération du texte. Notre auteur paraît encore avoir retenu quelques particularités fort précises du récit d'un pèlerin de Terre-Sainte, mais il a choisi d'une façon tout à fait bizarre celles qu'il lui a plu de rapporter et les a ran- gées dans un ordre qu'il nous est impossible de comprendre. Void l'itinéraire pour l'aller :

Il eissirent de France e Borgoine guerpirent ; Loheregne traversent, Baiviére e Honguerie, Les Turcs e les Persanz e celé gent haie ; La grant ewe de! flum passèrent a Lalice ; Chevalchet i'eraperére très par mi croiz partie, Les bois e les forez, e sont entret en Grice, Les bois e les inontaines virent en Romanie, Ë brochent a la terre ou Deus receut martirie : Virent Jérusalem, une citet antive.

Le début est correct, si on donne au mot Loheregne une extension v<^r!t le sud qu'il a souvent comportée ; mais une fois en Hongrie nous pculons la piste. Comment trouve-t-on des Turcs et des Persans avant vIVMitrer en Grèce ? Quelle distinction faut-il faire entre la Grèce et la KvMiwnic ? Qu'est-ce que Croiz partie ? chercher ce pays fantastique JM milieu de telles aberrations ? Un seul point est précis ; mais au ItcM vrocluircir le reste, il le rend plus obscur encore. Lalice répond ui, lAMuine dans plusieurs autres textes français, dont l'un au moins ^ t'\M(^ tïitl certainement antérieur aux croisades, à Laodicée, devenue t,»,Ji\i.< ibns lit prononciation des Grecs. Mais à quelle Laodicée ? Trois vtllv* \\\' nom, celle d'Asie-Mineure, celle de Syrie et celle de Célé- x\uv<, \\>y\\ également nommées Lalice par les textes français : LaUce s\.\\\\ >.\\a est I dodicée de Syrie, Lalice dans la chanson d'Antioche est \ K\*M\'\- sl'\!«i«" Mineure, Lalice (ou Laliche] dans Guillaume de Tyr est \ ^s»>Ii\\"n' \W » clesyrie. Il faut renoncer à la première, située sur la mer et >kxM» «Mt m ilc«\e; des deux autres, l'une est sur l'Oronte, l'autre sur le \ \\\\\. m«i> elle\ paraissent ici également déplacées. Je suppose que le kvss^ky> \ \'\\\U\*\M\^ les noms et les souvenirs qui lui restaient des narrations vUWt«<ivtv'«. «'( ^|^|'<I * r'**'-'^ ><^i ^^^^ l'itinéraire d'd//fr des noms qui appar- yivwwxt»» V rutiu'irtiie de rflour. On pourrait croire que cette conftision wVx\ ^»-*'« ^<»» •-"' > "**'''' *"'*'"' ^'"" copiste ou d'un arrangeur postérieur. En v\H*S V\ \ > » <>•»»»> ou .inj;f res ou renouvelées ne sont pas ici d'accord avec »^v^^v k^M»s»*>>»» «i«v|ue. Voici ce que dit la saga: « Ils vinrent en Bour- liN<«it^>. U<«xsHv»\ »Wut^r« eux la Lorraine et la Bavière, la Lombardie^

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 2~

la Fouille, la Perse et la Turquie (Pu/, Perse og Tulke), et ensuite ils arrivèrent à la mer et firent passer la mer à tous leurs gens, et vinrent à Jérusalem', u Sauf la bizarre mention des Persans et des Turcs, nous trouvons ici quelque chose de raisonnable : les pèlerins, après avoir tra- versé la Bavière, entrent en Italie, descendent en Fouille et s'embar- quent pour la Terre- Sainte ; il ne s'agit ni de Lalice, ni de a Croiz partie, » ni de Grèce, ni de Remanie. La version galloise est encore plas simple : « Four faire le récit court, ils laissèrent la France, l'Alle- magne, la Hongrie, Rome, la Calabre et la Fouille... et en peu de temps arrivèrent à Jérusalem, u Le Galien, dans ses trois rédactions, fait passer les pèlerins par Rome, le texte imprimé seul dit qu'ils s'em- barcjuèrent à Venise. Toutes ces versions, à la vérité, sont fort abrégées, et la présence des mots Perse og Tulke dans le texte norvégien semble faire remonter à l'original la confusion que présente notre manuscrit. Mais d'autre pan l'accord des trois versions secondaires à présenter le voyage comme une traversée mérite d'être pris en sérieuse considération. C'est ainsi que l'expédition de Charlemagne en Orient est présentée par le plus ancien te.xte qui en fasse mention, la chronique de Benoit de Saint-André '. C'était la route la plus ordinairement suivie par les pèle- rins. De la côte orientale de l'Italie on allait débarquer directement à un port syrien, Tripoli ou Antaradus, ou bien on traversait la Grèce et on se rembarquait à Salonique. On peut admettre que les pèlerins dont notre poète reproduit le voyage en l'embrouillant étrangement avaient suivi cet itinéraire : Bavière (Hongrie ?i, Lombardie, Fouille, Grèce, Syrie». Mais alors il faut supprimer Lalice, et la reporter dans le voyage de retour. C'est aussi qu'on pourrait intercaler •( les Turcs et les Persans ^, c'est-à-dire les Turcs dépendant du soudande Perse, établis

1 . La tradaction suédoise a modifié ce passage en faisant embarquer Charle- ffljgne â Marseille {ManUiam): la chronique danoise, dérivée du suédois, se borne à dire au'il passa par mer jusqu'au saint sépulcre.

î. Htil. poh., p. hy. Il est vrai que Benoit raconte que Charle fit jeter un pont sur la mer, de l'itilie à \a Grèce! La Dtsaiptio (voy. ci-dessous, p. j i) lait passer l'empereur et son armée par la Hongrie, en sorte qu'ils arrivent droit i Constantinople. Ce chemin ne put être pris par les pèlerins que quand les Hongrois furent devenus chrétiens, c'est-à-dire depuis le commencement du XI* iiécle.

}. M. Koschwitz a essayé de restituer le texte dans cette donnée, mais sans Miccéi, comme l'a reconnu M. Fœrster, gui a proposé une autre restitution, il s'écarte moins du manuscrit, mais qui n'est guère satisfaisante non plus. M. Fifster veut que Romanie désigne l'Asie-Mineure, et Grice l'empire byzan- tin d'Europe : mais dans tous les textes que je connais Ramante désigne ou la Turquie d Europe actuelle ou l'empire grec en général. Le fleuve qui arrose Lalice est, d'après M. Fœrster, le Menandtr ; je ne sais quel cours d'eau il a voulu désigner. De toutes façons, il faut admettre dans ce passage de graves altérations, et en même temps reconnaître que le poète se faisait une idée vague ée Titinératre, tout en ayant des notions précises sur certains points.

al G. PARIS

depoB te mîtieu du xi* siècle à Konieh et occupant une grande partie de' l*Aae Mineure'. Cependant, comme le poète parait avoir voulu éviter tout conurt des pèlerins avec les infidèles, ce qui aurait en effet iroubiè son récit tel qu'il l'avait conçu, il est plus probable que le v. 1 02 (ttt Turcs t Ui Persaum e ctU gent haie) est une simple interpolation J\in copiste du xii* siècle, scandalisé de ne pas voir mentionnés, dans uoc expédition en Orient, les Turcs et les Persans dont étaient remplies In chansons postérieures aux croisades. L'hypothèse d'une navigation •wiiil l'avantage de faire disparaître une des plus grandes étrangetés du poime : les Français, qui semblent ici traverser la Romanie, ne voient crpendant Constantinople qu'à leur retour. Tout s'explique si on admet qu'ils passent par un chemin et reviennent par un autre.

Le retour ne s'effectue pas d'ailleurs d'une façon beaucoup plus claire t^ue l'aller, du moins dans tous ses détails. De Jérusalem les Français, jCCHmugni*' du patriarche, se rendent à Jéricho, ils prennent leurs féÊim. On sait que cet usage de cueillir à Jéricho' des palmes qu'on NiyyortAil en France comme preuve et souvenir de son pèlerinage?, iM^ ()llli «'est longtemps conservé, est attesté dès avant les croisades *. Mrictkû nos pèlerins ne reviennent pas à Jérusalem, mais vont tout ^hvik ^ Coiutantinople. Voici leur bref itinéraire : '^ft lemperere od sa companie grant, ...a montelcs e les puis d'Abilant, L4 rvch* del Guitume e les plaines avant, VlNM Constantinople, une citet vaillant (259-262).

ClMMUl («tut-il corriger le second de ces vers ? Le mot montdes HffW»l> non de lieu défiguré, ou suffit-il d'intercaler les [E passent •4«JNi ou mieux monceles) pour rétablir la mesure et le sens s f

[\. li »«i>tioi 4m l^ifcs en etif-mème ne serait nullement pour le poème

«1.XJV. .t«^*l« r^ente. Avant même les victoires de Togrul-Beg (f 1065),

ttte l'Asie musulmane, et remplit le monde de leur nom,

iités par les historiens occidentaux. Turcac se trouve

', rt I auteur du récit fabuleux sur l'origine troyenne

. kic wurce â Frédégairc prétend que les Turcs sont,

icicendants des Troyens, et doivent leur nom â un pré»

note savante et complète de M. le comte Riant, 4^ SijinU, p. 59. « Pour la première fois, en 1191,

I[m|||. . ' ^uste et à ses chevaliers revenant du siège de

|jS|||J, '■ des palmes sans avoir été à Jéricho. *

I W 4 *• "■*'*" '!<■ r.u'-<ii.:, ijui n'appartient proprement qu'aux pèlerins |P«tai «W >MwuImh uI. Uic*. t. V. palmutt).

, - ' ■• I- i>iisaf:;c de Pierre Damien cité par Du Cange, s. v.

^ peregrinatione devenicns palmam ierebat in

c Michaud place avant les croisades Raimond de

sut lu XII' siècle (/l/l. 55. Jul. 28p.

, ,rrt '^«^ --j o -' "<■ "'^'"^ *û"* ''^' d'aucune utilité. La Saga dit

d

U CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 39

Quoi qu'il en soit, lu puis d'Abilant doivent sans doute être entendus de l'Antiliban, comme me l'a fait remarquer M. Clermont-Ganncau. Le nom d'Abilant représente évidemment, en effet, celui de la ville d'Abila, capi- tale de l'ancienne létrarchie d'Abilène, aujourd'hui Nebi-Abil, située au pied de l'Antiliban. De Jéricho, nos pèlerins, après avoir remonté le Jourdain, se rendent sans doute à Damas ; de la grande route romaine passait devant Abiia. Le chemin suit à cet endroit une gorge étroite coule le Barrada; des deux c6tés se dressent de hautes montagnes : ce sont Us puis d'Abilant >. Sur les rochers se voit encore gravée une magni- fique inscription romaine, rapportant que la route, détruite par le fleuve débordé, a été reconstruite par les ordres de Lucius Verus'. C'est entre Abila et Consiantinople qu'il faudrait intercaler, si on admet la conjec- ture proposée plus haut, la mention de Lalice et de son grand fleuve. Mais qu'est-ce que la roche du Guitume, qui précède de grandes plaines? Il m'a été impossible de le découvrir). U est singulier que notre poète fasse arriver ses pèlerins à Consiantinople sans dire un mot du Bras Saint-Georges.

Si les notions de l'auteur de notre chanson sur l'Orient paraissent bien refléter les récits des pèlerins du xi' siècle, les circonstances dans les- quelles son poème a visiblement été composé semblent aussi l'assigner à la même époque. Aux motifs que nous avons déjà énumérés, conte populaire des gabs, merveilles de Constantlnople, pèlerinage de Char- leraagne, il faut en effet en joindre un dernier, qui à mon avis a été le principal et a groupé tous les autres autour de lui. Notre chanson a été comp>osée pour expliquer aux nombreux pèlerins attirés à la foire de \'Endity entre Paris et Saint-Denis, par l'exhibition de certaines reliques, l'origine de ces reliques. Il est nécessaire, pour faire bien comprendre cette partie du sujet, de dire brièvement ce que l'on peut savoir de l'his- toire de ces reliques célèbres.

Nous ne trouvons pas avant le xii' siècle une preuve authentique de

siroplement : < Au matin ils montèrent à cheval et allèrent droit à Constanti- noplf. Le gallois est encore plus abrégé: il ne mentionne pas Jéricho. Le Câlien place entre Jérusalem et Consiantinople diverses aventures inconnues à Pancien texte, mais il n'en détermine aucunement la scène. M. Koschwitz lit : E passcrtnt les muni.

I. AoUant reparaît souvent dans les poèmes postérieurs aux croisades, mais uns avoir le plus souvent de signification bien nette. La c tour d'Abilant > parait même provenir d'une confusion entre Abiia et Babel.

1. Voy. le guide de Terre-Sainte public par Ba:deker, p. 51 1. }. J'avais pensé au val de Garhtnie, près de Nicée (vov. Chans t. I, p. 148), mais, outre que le nom ne ressemble que fort peu, et qu'il n'est

pas parlé de t roche >, cette petite vallée n'avait aucune raison d'être connue eo Europe avant la bataille qu'y livrèrent les premiers croisés. Au reste, le nom et la place de cette roche dcl guitumc sont trop peu assurés pour fournir une base solide aux recherches.

)0 G. PARIS

la présence à l'abbaye de Saint-Denis des trois grandes reliques dont il s'agit surtout ici : un fragment de la couronne d'épines, un des clous de la croix ' et le bras de saint Siméon, sur lequel il porta lésus enfant lors de sa présentation au temple^. Ces reliques sont mentionnées dans un diplôme de Louis le Gros de 1 124, il confirme certains privilèges de l'abbaye de Saint-Denis sur la foire de l'Endit : « Preterea omnimodam potestatem omnemque justiciam atque universas consuetudines nundi- n[ar]um Indicti, quoniam prefatum Indicium honore et reverenlia sanc- tarum reliquiarura, clavi scilicet et corone Domîni, apostolica auctoritate archiepiscoporum et episcoporum confirmatum. antecessorum nostrorum regum Francie constitutione constitutum est, in perpetuum condonavi- mus ; dignum enim duximus Domino Deo his et aliis quîbus possumus modis grates referre, quod et regnum nostrum ea Indicti die insignibus sue passionis, clavi videlicet et corone, dignatus est sublimare, et nos- tram et antecessorum successorumque nostrorum protectionem in capite regni nostri, videlicet apud sancios martyres dignatus est collocare 5. » La dévotion de Louis VI à ces reliques était grande : quand il se sentit mourir, il remit à Suger une pierre précieuse qu'il tenait de sa grand'- mère, Anne de Russie, en le priant de la faire appliquer sur le reliquaire qui contenait la sainte couronne *. Suger, qui a évidemment rédigé au nom du roi son ami la charte que je viens de citer, parle encore des reliques en question dans une pièce il recommande la célébration solennelle de l'anniversaire de Charle îe Chauve, qui, outre plusieurs autres bienfaits, « a illustré l'abbaye de Saint-Denis des insignes de la passion du Seigneur, à savoir le clou et la couronne, et du bras de saint

I

1. Ce clou fut perdu et retrouvé en 1252. Détourné lors de la Révolution, il fut offert en 1828 à Notre-Dame, et il fait partie des grandes reliques qu on vénère encore tous les ans dans la semaine sainte. Les autres reliques de Saint- Denis paraissent perdues (voy. Rohault de Fleury, Mim. sur Us inslrummls Jt la Passion, p. 178).

2. On aurait une date plus ancienne si la relation de l'ouverture des châsses de saint Denis et de ses compagnons en lo^o, écrite par le moine Hatmon et dédiée i son abbé Hugon, pouvait être considérée comme contemporaine de l'événement qu'elle raconte. C'est ce qui, à vrai dire, ne me paraît pas impos- sible; mais les critiques sont d'accord pour admettre qu'elle est bien postérieure, et que l'abbé Hugon auquel elle est dédiée était, non l'abbé de ce nom qui pré- sida à l'ouverture des chAsses en 10^0, mais un autre, qui vivait sous Philippe Auguste (voy. Pertz, SS. t. XI, p. 57i-?77l- ^^ ''* "'•^^ ^^ ^^"'^ " Ante- quara ad corpora sanctorum perveniatur, criptula quaedara aureis geromis extrinsecus decorata habetur, in qua duabus seris diligenter munita dominici clavi et coronae servantur pignora. »

j. Tardif, Monumtnls hisloriques, n- «91, p. 216 ss.

4. Œuvres de Suger, p. p. Lecoy de la Marche (Paris, 1867), p. 14J. Louis Vil avait les mêmes sentiments. Il 6t enchâsser dans ce reliquaire, oCi la vit Rodrigue de Tolède, une 1 escarboucle > que lui avait donnée Alphonse VII de Castille {Hut. de F., t. XII, p. 385).

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE } I

Sîméon '. n Ce sont les plus anciens témoignages absolument authen- tiques; mais à défaut de textes de ce genre, il est facile de prouver que ces reliques étaient conservées à Saint-Denis et montrées aux croyants, i la foire de l'Endit, au moins dès le règne de Philippe I.

En effet, les renseignements donnés, dans les chartes de Louis VI et de Suger citées plus haut, sur l'origine de ces reliques se réfèrent sans aucun doute à l'écrit connu sous ce titre : Descriptio i^ujUter Carolus Magnui davum et coronam Domini a ConstantinopoU Aquisgrani adtulerit, quAliurque Carolus Calvus hec ad sanctum Dionysium reluUrit. Or il a été prouvé par l'abbé Le Beuf et confirmé depuis ^ que cette légende a été composée à Saint-Denis au xi" siècle, très probablement avant 1085. Elle rapporte que Charlemagne, étant allé secourir les chrétiens d'Orient, reçut en don de l'empereur de Constantinople ces précieuses reliques, et les déposa à Aix-la-Chapelle, d'où plus tard Charle le Chauve les enleva pour les donner à l'abbaye de Saint-Denis. Charlemagne avait établi à Aix, du 1 1 au 14 juin, un indictum^ pour la vénération des reliques; cet indkîam avait été consacré par le pape Léon, venu exprès de Rome, et assisté de nombreux évêques et archevêques*; Charle le Chauve transporta la fêle, avec les reliques, d'Aix à Saint-Denis, oîi elle devint la célèbre fête de VEndit (plus tard du Lendit), Il n'est pas difficile de démêler l'origine de ces fables. Charle le Chauve avait réellement été un grand bienfaiteur de Saint-Denis ; il y avait son tombeau, et il avait donné à l'abbaye des reliques déjà fort remarquables, le bras de trois grands saints, saint Jacques, saint Etienne et saint Vincent). Quand l'abbaye se trouva, je ne saurais dire comraentj en possession de reliques encore plus précieuses, parmi lesquelles un quatrième bras, il était bien naturel que les moines répondissent aux questions des \Tsiieurs curieux qu'elles leur venaient également de Charle le Chauve. Et comment Charle le Chauve pouvait-il les avoir, si ce n'est comme héritier de Charlemagne ? Celui-ci , tout le monde le savait , était allé à Jérusalem et à Constantinople ; il en avait rapporté ces reliques pour sa chapelle d'Aix, et plus tard son petit-fils les avait offertes à Saint-Denis.

1. Œuvrts de Suger, p. Jjj.

2. Hul. poh. dcCkarlemagne, p. 56.

j. Le mot uidiitum, qui apparaît dans le latin mérovingien (on ne trouve en latin classique que mJictae fena<), signifie simplement, comme on sait, annonce officielle < spécialement de fêtei, fête annoncée d'avance. Peu à peu il s'est restreint  VtnJtl de Saint-Denis, mais antérieurement on le rencontre appliqué i d'autres foires analogues.

4. Cest i ce prétendu synode que se réfèrent les paroles citées plus haut de ta chane de Louis le Gros.

S- Voy. Œuvres de Suger, p. îoi-2, 554. Au premier endroit, Suger ne parle pas des autres reliques attribuées à Charle le Chauve; au second (voy. a-deitusi, il les mentionne séparément.

;2 G. PARIS

C'est sur ces données que fut composée, vers la fin du second tiers du XI' siècle, la légende iatine en question, une des fraudes à la fois les plus grossières et les plus audacieuses qui soient sorties des officines monacales. L'auteur ne connaît à Constantinople d'autre souverain con- temporain de Charlemagne que Constantin, fait venir le pape à Aix pour consacrer les prétendues reliques, réunit au même effet un concile imagi- naire où figurent les abbés de monastères fondés à la fin du x' siècle, et prouve en un mot autant d'ignorance que d'effronterie. Son ouvrage n'en eut pas moins le plus grand succès, ainsi que celui du faux Turpin, son émule. Nous avons vu que dès 1124 Louis VI, ou plutôt Suger, abbé de Saint-Denis, s'y réfère comme à un document authentique ; plus tard il passa dans toutes les compilations historiques , et ne retomba dans le mépris qui lui est qu'à la renaissance des lettres '.

A côté de cette version monastique et pour ainsi dire officielle sur l'origine des reliques de Saint- Denis, il en circulait d'autres parmi le peuple i. Les reliques exposées à l'Endit avaient été rapportées de l'Orient par Charlemagne, voilà ce dont personne ne doutait, parce que c'était d'accord avec une croyance universellement admise ; quant à Charle le Chauve, que l'auteur de la Descriptio avait jugé nécessaire de faire inter- venir, les récits populaires le laissèrent naturellement de côté : rien ne s'opposait pour eux à ce que Charlemagne eût rapporté directement les reliques d'Orient à Saint-Denis, tandis que l'auteur de la légende latine savait au moins que l'empereur d'Aix, qui vint fort peu à Paris, n'avait aucune raison d'honorer particulièrement l'abbaye qui, sous son fils, dut au fameux Hilduin sa gloire et sa richesse toujours croissante. Les explications populaires de l'origine des reliques durent rapidement donner naissance à des poèmes : la foire de l'Endit réunissait un grand concours

I. Cependant les libertés que prend l'auteur avec l'histoire d'ailleurs établie embarrassaient quelque peu. Il faul noter à l'honneur de Guillaume de Tyr qu'il ne mentionne aucunement, dans sa grande histoire, la prétendue expédition ae Charlemagne.

3. Mal^é la justice de ce mépris, ta Descriptio offre aujourd'hui de l'intérêt à divers points de vue, et je me propose d'en donner quelque jour une édition dans ce recueil.

). Un poémc aujourd'hui perdu, mais résumé par Jehan des Preiz (t. III, p. t2 ss), avait pris pour baîc la Desaiptio en accommodant le récit à des chansons de geste connues. Le patriarche de Jérusalem demande secours à l'em- pereur de Constantinople, appelé non plus Constantin, mais Richer, < qu'on nommoit aussy Estienne •. Après la victoire, Richer donne à Charlemagne beaucoup de reliques, et, bien qu'il ait cent ans, sa fille Sibile en mariage (ainsi le poème est ratt.^ché â la chanson de la Reme Sibik, celte reine est en effet fille de l'empereur de Constantinople Richer). Un autre passage de Jehan des Preiz (III, 80) raconte très brièvement un autre pèlerinage de Charlemagne; il revient cette lois par la Sicile (comme dans Godefroi de Viterbe) et a des aven- tures â Palerme.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMACNE 3)

de gens, attirés, les uns par l'exhibition des reliques, les autres par les acheteurs rassemblés et les marchandises mises en vente, tous cherchant des distractions une fois qu'ils avaient terminé leurs dévotions ou leurs aAaires. Les jongleurs arrivaient donc en grand nombre et cherchaient à captiver les auditeurs: rien de plus indiqué que de leur chanter l'expédi- tion où Charlemagne avait rapporté le clou et la couronne qu'ils venaient de vénérer. Aussi ne s'étonnera-t-on pas qu'on ait composé sur ce sujet au moins trois chansons différentes. La première s'est perdue, et nous ne b connaissons que par un très bref résumé de la Karlamagnùs-Saga '. Elle n'est pas, dans sa marche générale, sans rapport avec la légende latine, et il me paraît vraisemblable, non pas qu'elle s'en est inspirée, mais au con- traire qu'elle lui a fourni son principal motif. On y voit également Char- lemagne secourir l'empereur de Constantinople contre ses ennemis et en recevoir des reliques incomparables. L'idée de tirer ces reliques de Constantinople et non de Jérusalem, commune à ce poème et à liDescrip- tio. repose sur une certaine connaissance des choses : en effet, à partir de la fin du x* siècle environ, les reliques de la Passion, plus ou moins authentiques, qui avaient longtemps été montrées à Jérusalem ou ail- leurs, étaient concentrées à Constantinople, notamment dans la chapelle impériale de Bucoléon ' ; elles faisaient l'admiration des pèlerins qui passaient par Byzance, et c'est pour cela que la chanson perdue et la légende latine en font venir les prétendues reliques de Saint-Denis. L'auteur de notre poème, ignorant sans doute ce fait, a trouvé naturel que ces reliques fussent à Jérusalem, et les fait donner à Charlemagne par le patriarche et non par l'empereur. L'antiquité de la chanson résumée dans la Karlamagnùs-Saga est établie par l'allusion qu'y fait le RoLjndK Elle parait ne s'être pas bornée à mentionner les reliques de Saint- Denis, qui ne figurent même pas dans l'abrégé norvégien, mais avoir énuméré plusieurs autres trésors du même genre conservés dans diverses églises de France et censés rapportés d'Orient par Charlemagne; les autres textes relatifs au même sujet en font d'ailleurs autant. Voici ce qu'on lit i ce propos dans le texte norvégien : « L'empereur des Grecs donna à Charlemagne du suaire de notre Seigneur4, et ses chaussettes, du bois

1. 1, 49- vo. Cf. Bitl. Ëc. Ch. XXV, 102.

2. Voy. Riant, Exmiat sacrai Constant'tnopolilanat,U, 205 ss.; AlaiiEpistola, p. Hxiv, etc.

;. Au V. 2^29 Roland mourant énumcre, parmi les pays qu'il a conduis pour son oncle. < Coslantinoble, dont il eut U fiance. Il y a quelaue difficulté î rapporter cette allusion au poème dont il s'agit, parce que la Karlamagnin-Saga du eipressément que quana Charlemagne partit pour l'Orient, il laissa Roland i Rome ; mais c'est sans doute une erreur du rédacteur. Le fait que l'auteur du RaUiid connaissait le poème abrégé dans la saga résulte avec certitude d'un astre passage ivny. ci-dessous).

4. Le texte est ici embarrassé par une glose inintelligente. Le mot SHil<utuk

Kûmâniû, IX

i

^J\ C. PARIS

de la sainte croix, et la pointe de la lance qui perça son côté, et la lance

de saint Mercure' Charles revint en France et arriva à Aix ; il y

laissa les chaussettes^, le suaire à Compiègne [Komparins] , la sainte croix à Orléans ) ; il garda la peinte de la lance et la fit incruster dans la poi- gnée de son épée, à cause de quoi il l'appela Joyeuse ; et c'est pour cela que les chevaliers, quand ils veulent s'encourager au combat, crient Montjoie'i. »

traduit littéralement le latin sadarium, c'est-à-dire le linge dont la tète de Jésus était enveloppée dans le tombeau (Jean. XX, 7) ; mais il signifie proprement mouchoir •, ce qui a donné lieu à la glose : le smtadùk dont il s'essuya le visage après avoir parlé au peuple. » Un autre manuscrit, duquel dérive la ver- sion danoise, a conservé le vrai suaire, mais ajoute une autre relique : « un suaire {iwtdtdug) dans lequel Notre Seigneur lut mis au tombeau, et la serviette avec laquelle il s'essuya au jeudi-saint (Brandt^ Romaiitisk Digtmng, 111, 16). » Remarquons d'ailleurs que ce mot suaire a été en français complètement détourné de son sens : on l'a assimilé au linceul le corps de Jésus était enveloppé, mais à tort, d'abord parce que sudartum ne peut designer qu'un linge de petite dimension, ensuite à cause du passage forme) de saint Jean. Le mot smdon, employé dans les évangiles synoptiques pour désigner le linceul, avait donné en ancien français signe. De le nom de la chapelle du Saint Signe à Saint-Corneille de Compiègne, appelée aussi chapelle du Saint Suaire, quand on eut confondu les deux objets,

1. En traduisant jadis le sommaire de la Karlamagnàs-Saga {Bibl. Et. Ch., XXV, 102), j'ai conjecturé que Mercure était ici une faute pour Maurice. Cette conjecture, repétée par M. Cauti<r {Ep. Jr., II, 268;, est tout à fait erronée. S. Mercure passe pour avoir souffert le martyre sous Déce (voy. Martene, Amplissma Coltectio, VI, 74J ss.) ; sa lance avait surtout un grand intérêt : on racontait que la nuit périt Julien l'apostat, elle avait disparu de l'église d'Antioche on la gardait, et qu'on l'avait retrouvée toute sanglante, dans cette même église, le lendemain de la mort de cet empereur, que saint Maurice avait percé sur L'ordre de Dieu et à la suite des prières de saint Basile. Je ne sais SI quelque église de France prétendait la posséder au moven âge ; en 768, Arichis avait fait transporter à Bénévent un prétendu corps ae saint Mercure.

2. Je pense qu'il y a U une confusion : on montrait, on montre sans doute encore à Aix les chaussettes de saint Joseph ; mais je ne vois pas qu'on ait jamais parlé de celles de Jésus. Je traduis hosa par chaussettes a cause de ce passage de Philippe de Vigneulles, qui assista en 1 po à Aix à l'exhibition des

grandes reliques : « La ctergie aportoil les chaussettes saint Joseph, dont

l'une est noire et l'autre comme tanée, sans avant-piedz ne nulle façon, mais sont lairges et tout d'ugne venue (AftmofVw, p. 177). >

î . Cette relique est évidemment l'origine de la construction à Orléans de la célèbre église de Sainte-Croix. 4. Ce passage se retrouve à peu près textuellement dans leRoland (v. 2^03 ss.) :

Asez savuns de la lance parler

Dunt nostre sire fut en la cruiz naffrez ;

Charles en ad la mure, mercit Deu :

En l'orie punt l'ad faite manuvrer.

Pur ceste honur e pur ceste bontet

Li noms Musc l'espée lut dunez.

Barun franceis ncl deivent ubiier :

Enseigne en unt de Munjoie crier. Cette étymologie est d'ailleurs fausse; le cri de Montjoie a une tout autre

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHABLRMACNE 55

Ceue chanson avah, i ce qu'il semble, assez peu d'intérêt. Une ver- sion très différente sur l'origine des reliques de Saint-Denis s'est conser- vée dans le poème de Fierabras. Ce poème, tel que nous l'avons, n'est pas plus ancien que le troisième quart du xii'" siècle, mais il remonte certainement à un original antérieur, il donne aux reliques de Saint- Denis et de Compiègne une tout autre histoire. Ce n'est plus de Cons- tantinople qu'elles viennent : c'est de Rome. Un roi païen les y avait enlevées ; Charlemagne les a reconquises. Malgré cette divergence radi- cale, ce poème, visiblement composé pour être chanté à la foire de l'Endit (voyez les vers du début et de la fin] , semble avoir subi pour certains détails l'influence de la légende latine. Je n'en parle pas ici plus longuement, parce que j'en ferai prochainement l'objet d'une étude spéciale .

Notre chanson est la plus populaire, comme elle est ta plus ancienne, de toutes ces narrations poétiques. L'importance particulière qu'elle Bccordait aux reliques rapportées par Charlemagne était sans doute indi- qnée dans des vers placés soit au commencement, soit à la fm, vers qui ont disparu de notre manuscrit unique^ et que la mise en prose et les traductions étrangères ont également omis, comme n'ayant pas d'intérêt. Toutefois il reste dans le corps du poème assez d'indications pour nous en bien révéler le caraaère. Voici les reliques que le poète énumère comme ayant été données à Charlemagne par le patriarche de Jérusalem : le bras de saint Siméon, le chef de saint Lazare, du sang de saint Etienne, du suaire de Jésus « qu'il avait sur sa tète quand il fut couché dans le sépulcre n, un des clous de ses pieds, la sainte couronne qu'on lui mit sur la tète, et le calice qu'il bénit, ainsi que l'écuelle d'argent et le couteau dont Dieu se servit à son repas, du lait de sainte Marie dont elle allaita Jésus, et de la sainte chemise qu'elle portait sur son corps.

Si nous comparons la liste de notre poème à celle que donne la Des- criftio, nous trouvons dans celle-ci, outre les trois reliques principales \bras de Siméon, clou, couronne), un morceau de bois de la croix, le stiaire du seigneur, la chemise de la vierge Marie et un des langes de l'enfant Jésus) . Le bois de la croix n'est pas mentionné dans notre poème ;

origine. L'explication du nom de Joyeuse doit aussi être récente, et tout Ce pjissaee est sans doute emprunté au poème perdu dont il s'agit.

( . Une dernière fiction, dont |e ne m'occupe pas ici, racontait que les saints dous, le suaire et la couronne avaient été rapportés d' Angorie » par Renaul de Mooiauban (voy. Michel, Chûrltmagnc, p. cxij-cxiv; Koschwitz, Scclis Buf^., p. 451

2 N'oublions pas qu'il a été exécuté par un Anglais i la fin du XIII* siècle.

5, Jehan des Preiz dit de même : a Une grande piechc de la saincle croix

Hcn de la couronne nostre seigneur Dieu item ung des claux dont nostre

vagneuT fu claveit ; item le saint sudaire ; item la chemise nostre dame ; itéra

j6 G. PARIS

mais nous savons de source certaine qu'un morceau était conservé à Saint-Denis dans l'autel également consacré au clou et à la couronne d'épines '. On ne mentionne pas à Saint- Denis la «< fascia qua [Maria] pue- rum Jesum in cunabilis ctnxit > » ; quant au suaire et à la chemise de la Vierge que la légende latine et notre poème s'accordent à citer, ils n'appartiennent pas à l'abbaye de Saint-Denis, mais à deux villes voisines de Paris, l'une à Compiègne et l'autre à Chartres. Leur exis- tence est attestée de bonne heure dans ces deux villes, et l'une et l'autre de ces reliques passent pour avoir été données par Charle le Chauve, qui les avait rapportées d'Aix ; quel fondement historique y a-t-il à cette tradition, et dans quel rapport est-elle avec la Dcscriptio, c'est ce qu'il serait trop long d'examiner ici. On voit seulement que notre poème, d'accord avec la légende latine, mentionne, outre les célèbres reliques de Saint-Denis, celles de quelques villes voisines qui se vantaient égale- ment de les tenir de Charlemagne. On a vu qu'il en était de même dans l'ancien poème résumé dans la Karlamagnàs-Suga, qui, à côté des reliques de Saint-Denis (omises dans le résumé, mais bien probablement mentionnées dans le texte), parlait de la croix d'Orléans et du suaire de Compiègne. Quant aux reliques qui ne se trouvent ni dans la Descriptio ni dans le résumé norois, c'est-à-dire le chef de Lazare, du sang de saint Etienne, la coupe, l'écuelle et le couteau de la cène, du lait de la Vierge?, il est probable qu'on les montrait aussi, au xi' siècle, dans quelques églises de France.

Tout se réunit donc pour nous faire regarder notre poème comme composé au xi" siècle, avant les croisades, et ces conclusions, je l'ai dit,

!v pclis drapeillons en queis Jesu Cnsl fu faissret ; item te brais saint Simeon dont il tint Jesu Crist en temple Salomon (p. i8). » Ces derniers mots parais- sent un des vers conservés de la chanson de Richer.

1. Comuralum til altarc sancle crucis in honore sancU crucis tt sanctarum

Ttliquwum, clavi et coroni Donmi et sancti Synieoms, etc. {Consfcrationts altarmm beau sancti Dionysti, p. p. L. Delisle dans la Bibl. de l'Èc. du CA., t. XXXVIIl, p. 464). La consécration rappelée ici fut faite en 1 144 (voy. Suger, éd. Lecoy, p. 234, îj6).

2. Dans les testimonia sur les reliques de Constantmople rassemblés par M. Riant (I. I.), on voit plusieurs fois figurer des fasciat ou vTie fascm, mais sans rien qui précise le sens. On montre  Aix les langes de l'enfant Jésus. Un morceau de ces lances avec d'autres reliques, et au milieu un < souvenir > de Charlemagne, fut offert i Napoléon I" par le Chapitre d'Aix-la-Chapelle. Ce reliquaire, sous le nom de Talisman de Charlemagne «, fut conservé dans la famille Bonaparte: l'impératrice Eugénie l'eut prè< d'elle lors de la naissance de son fils, et le faisait porter, quelques années après, dans b chambre de M. Bacciochi, malade 1 Biarritz |voy. Rohault de Fleury, Mèm.y etc., p. 118; De Gourgues, Lt saint Suaire, Périgueux, 1868, p. 1 jj.

}. Un grand nombre de villes, Reims entre autres, prétendaient possé- der du lait de la Vierge. Les rédactions en prose française et étrangères ajoutent ici la mention de ses soutiers.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE Jy

sont absolument confirmées par l'examen philologique auquel i'a soumis M. Koschwitz. J'ai fait cependant autrefois à l'antiquité de la chanson du pèlerinage de Charlemagne une objection que je dois aujourd'hui examiner. La liste des douze pairs qui entourent Charlemagne diffère ici sensiblement de celle que donne la chanson de Roland. Les voici en re^rd l'une de l'autre :

Roland Pilennage

I Roland

3 Olivier j Bérenger

4 Gérin

5 Gérier Turpin

6 Otton Natmon

7 Sarason Oger

8 Engeiier Guillaume d'Orange

9 Ivon Bernard de Brusban

10 Ivoire Ernaud de Gironde

1 1 Ansels Aimer

12 Girard Bertrand i.

On voit que huit des noms anciens sont remplacés ici par huit autres : trois de ces huit noms nouveaux se retrouvent dans beaucoup d'autres textes et ont de bonne heure à leur célébrité d'être intercalés dans la liste des pairs : ce sont Turpin, Oger et Naimon (voy. mon Hist. poit. de CharL, p. 418 et 507). Il n'en est pas de même des cinq autres, Guillaume d'Orange, Bernard de Brusban, Ernaud de Gironde, Aimer et Bertrand. Ces cinq personnages appartiennent tous, d'après les traditions poétiques, à une seule et même famille ou gesie, dont les pos- sessions et les prouesses sont également rapportées au midi de la France. J'ai montré ailleurs' qu'ils sont absolument inconnus à ceux de nos anciens poèmes nationaux qui parlent de Roland et d'Olivier, et que réciproquement les chansons qui leur sont consacrées ne font aucune place aux héros habituels du cycle carolingien ). J'ai émis l'hypothèse que ces guerriers appartenaient primitivement à une épopée provinciale, qui, étant propre au midi, avait naturellement s'exprimer en langue

1. LeCalien 2 modifié cette liste; il a supprimé Guillaume et Ernaud de Gironde, remplacés par Ganejon et Richard de Normandie; il a changé Aimer en Aimeri, Bernard de Brusban en Berard de Montdidier, Gerin en Cuerin (de Mongluine dans le ms. de l'Arsenal, qui ajoute à Aymery le nom Je Beaulande et change Bertrand le neveu de Guillaume en Bertrand le fils de Naime).

2. Hist. poil, de Charlemagne, p. 81.

:. Dans le travail cyclioue auquel la geste de Narbonne fut soumise au Xlll' siècle on y rattacha Olivier, mais c'est une invention récente {Hul, poii.y p. 8of.

r.i ?rsLiK « fondre avec l'épopée du nord. 1 .:=:5 isTer.: contestée par d'autres,

:.. *-•— ;: -«n Gautier, cette hypothèse, .: .'.-iTï- Tccveau et approfondi que je ne puis -riiTi c-i i partie qui a trait direaement à

-.- :*;>ri î"tre la geste du roi et ce que j'ap-

. j:>iï :i Nirbonne n*est pas contestable ; non

. -.> _-:•:■;-:. mais en bien des points ils se

...-. .TUiTi- de voir ici Charlemagne conduire

i -."î .vcrrajnïie », mi-partie de « Francs de

.-i;j M-s Roland, O^er, Aspremont, pas un

■^ •^:■^r.. '.":<; ijns les poèmes qui racontent les

-X -.••.-* iu nord. Ici ils sont réunis comme

. •xr^"-^ J'en ai conclu à une date assez

^ .' ; «: ce qui m'avait déterminé, malgré

..-,:i.-,* 1 ne l'assigner qu'au xii* siècle '.

.-. V -r \a pas beaucoup plus loin que je

-....; -~ ^ïcr.ier tiers du xii" sièclç », a réfuté

- •.-.> ,V'".'ctera que, parmi les douze pairs de

,. rt . ;t i-itf et que sa présence est un signe

- - .--„?>cr Mais nous répondrons en rappe-

.- . .içp.Je de Guillaume. Faire entrer ce

~... .V .' ."ï^ une idée qui a pu tout aussi bien

-. .• -; >-s :o que dans la tète d'un poète de

. . . -■ o •-• J -Jute antiquité » de la légende de

.... ; n; s'aslit pas de savoir si cette légende

•i, jvc-:".?ment connue dans le nord de la

.. -. .-a.? que de Guillaume : il s'agit d'ex-

Ni -.- -V .-s-rrard. Ernaud, Aimer et Bertrand.

v_ ,v.v: .ron savant ami a raison, et je crois

.^ .vv.'-'"*J!i"fS sont mentionnés dans notre

.v- . .-r ■.o;:ur Je l'antiquité que je lui recon-

... -, ,^ -utionjlité primitive du cycle de Nar-

^ ^A."«s* en deux groupes distincts, celui

.v-i i*-' î'fs frères, Bernard de Brusban,

.■V »'-.:vadc, Garin d'Anseùne, Aimer le

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE ^9

Chétif et Guibelin. Ces six personnages, héros de poèmes dont la plu- pan sont perdus, étaient sans doute à l'origine parfaitement indépen- dants les uns des autres : on leur a donné d'abord un même père, puis à ce père commun on a aussi donné pour fils Guillaume d'Orange, le plus célèbre adversaire des Sarrazins du midi. Mais la nouveauté de ce raccord est visible même dans les poèmes il est le plus complètement admis'.

Je n'ai pas à donner ici les preuves de ce fait ; j'ai seulement à cher- cher si ce raccord a pu être accompli dès le xi" siècle. Rien ne s'y oppose : le Fragment de La Haie, qui est de la fin du x" siècle, ne le connaii pas encore, mais il a se faire peu de temps après, puisque nous le trouvons généralement admis dans tous les poèmes que nous possédons, et dont plusieurs remontent au commencement du xii° siècle. Laissons de c6té ceux de ces personnages qui ne figurent pas dans notre chanson : il est bien remarquable que les quatre guerriers qui y sont nommés avec Guillaume, Bernard, Bertrand son fils, Aimer et Ernaud de Gironde se retrouvent tous, sauf Aimer, dans le Fragment de La Haie, qui n'a en plus que Guibelin. C'est déjà assurément un indice d'antiquité, mais ce n'est pas le seul. Toutes les chansons que nous pos- sédons où figurent ces héros placent sous Louis, fils de Charlemagne, la scène des actions qu'elles racontent; Guillaume apparaît bien déjà, dans les Enfances et le Couronnement de Louis, à la cour de Charle ; mais ce n'est que sous le règne suivant qu'il bataille contre les Sarrazins de Pro- vence. Un seul poème, d'un caractère fort antique, aujourd'hui perdu, mais heureusement traduit dans la Karlama^nùs-Saga, place sous Charle- magne non-seulement les exploits de Guillaume, mais sa vie monastique et sa mort. Or en cela ce poème est d'accord avec l'histoire, au moins de l'un des <■ Guillaume » qui ont servi à composer la figure épique de Guillaume d'Orange : Guillaume de Toulouse, qui se retira, après une vie remplie d'exploits et d'honneurs, dans le désert de Gellone, y mourut comme on sait en 812, deux ans avant Charlemagne. Si plus tard on l'a fait vivre sous Louis et non sous Charle, cela tient à diverses causes, mais surtout à ce que dans le « Guillaume » épique se sont fondus d'autres personnages du même nom qui se trouvaient en relation indissoluble avec un roi Louis. Mais comme on avait d'autre part rattaché à Guillaume d'Orange le groupe des héros méridionaux, Ernaud de Gironde, Ber- nard de Brusban, Bertrand, Aimer et Guibelin, ces héros, devenus

1 . On y voit Guillaume représenté comme un Franc de France, bien qu'on le dise fils d'Aimeri de Narbonne. J'étudierai cette question prochainement. Dans notre poème, Guillaume est aussi présenté comme Français, ainsi que von neveu Bertrand, son inséparable compagnon. En voyant la charrue d'or du roi Hugon, il s'écrie (v, 527) : Car la tenisse en France e Bertrans si i fussel!

40 G. PARIS

ses frères, suivirent son sort et furent également présentés comme ayant vécu sous Louis, fils de Charle. Toutefois le poème qu'imitait avant la fin du x"^ siècle l'auteur du Fragment de La Haie les faisait encore vivre et combattre avec Charlemagne. C'est également autour de Charlemagne, et non de Louis, que notre poète range et Guillaume et Ernaud, Ber- nard, Bertrand et Aimer; il est d'accord pour ie premier avec l'histoire et le Momage Guillaume traduit en norvégien, pour les autres avec un texte latin traduit certainement d'un poème en langue vulgaire au s. On voit que cet argument se retourne en faveur de l'antiquité du PkU- rinage. On ne peut non plus soutenir que Guillaume et ses frères n'étaient pas connus en France au xi" siècle : c'est vers 1125 qu'Orderic Vital, moine de Saint-Evroul, écrivait, avant de résumer la vie monastique de Guillaume de Toulouse d'après la légende latine : Vulgo canitur de illo a joculatonbus cjntikna. Cette chanson, que de nombreux jongleurs français chantaient dans le premier quart du xii" siècle, rien n'engage à penser qu'elle ne leur fiit pas connue dès le xi*. Le Fragment de La Haie, composé au X"-, me parait même indiquer l'existence dès cette époque d'un poème français plutôt que provençal. Notre poète a fait preuve, ici comme ailleurs, d'une grande individualité. Il ne s'est pas astreint à prendre dans la seule tradition relative à Roncevaux la liste des douze pairs dont il vou- lait entourer Charlemagne. Il l'a composée à sa guise avec quatre de ces pairs de Roncevaux, trois des guerriers les plus fameux de l'empereur, Naimon, Turpin et Oger, et cinq autres héros dont les jongleurs célébraient les exploits accomplis aux côtés de Charle. Il est sans doute le premier qui ait transporté cette conception des « douze pairs «, ori- ginairement propre aux récits sur la guerre d'Espagne, dans un épisode étranger à cette guerre •, et il y a été peut- être amené par l'état lui était parvenu le conte des gabs, qui mettait en scène un roi et ses douze compagnons.

Il reste cependant contre cette opinion, en ce qui concerne les héros « narbonnais ". une objection très grave, et qui serait de nature à rui- ner tout l'édifice laborieusement élevé jusqu'ici. Guillaume et ses frères, Bernard, Ernaud et Aimer, sont expressément présentés dans notre poème comme fils du comte Aimeri (v. 740, 76^) '. Nous voyons en effet par les autres poèmes du cycle auquel ils appartiennent que ces quatre héros fplus Beuvon de Comarchis, Garin d'Anseune et Guibelin) sont présentés comme fils d'Aimeri, comte de Narbonne. Or il est géné-

I. Au V. 765 le ms. porte [iernart,fils U conte Aimer, et M. Koschwitz con- serve celte leçon ; mais il faut lire Aimeri. Bernard est filî d'Aimeri amsi que Guillaume, Ernaud et Aimer. C'est ainsi que Bertrand, fils de Bernard, est neveu d'Ernaud (v. i^60 : nutre poète connaît évidemment la lamille de Nar- bonne au complet.

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 4I

ralement admis, depuis Fauriel ' , que cet Airaeri de Narbonne est en réa- lité un personnage historique, Aimeri II, vicomte de Narbonne de 1 105 à 1 1 Hi transporté dans l'épopée par les troubadours désireux de plaire à sa fille Ermenjart, vicomtesse de Narbonne après lui. Cet Aimeri aurait eu également une femme appelée Ermenjart comme celle d 'Aimeri de Nafbonne dans les poèmes; il aurait eu, comme l'Aimeri épique, un fils appelé Aîmer (= Ademar) ; le père et le fils combattirent toute leur vie les Sarrazins d'Espagne, comme l'Aimeri et l'Aimer des poèmes; si l'Aimer épique fut fait prisonnier par eux, l'Aimer historique trouva la mort en les combattant. Tout semble donc justifier l'hypothèse du bril- lant historien de la poésie provençale : !a poésie épique a emprunté à la famille d'Aimeri les trois personnages d'Aimeri, Aimer et Ermenjart. Mais si Aimeri de Narbonne , dans la poésie , est modelé sur un personnage qui fut surtout célèbre après 1 1 20, il est clair qu'un poème il est nommé ne peut appartenir au xT siècle. Il y aurait bien un moyen de sortir d'embarras : l'Aimeri du PUtnnage n'a pas de surnom ; on pourrait croire que le père de nos héros était d'abord appelé sim- plement Aimeri, et qu'on n'en fit Aimeri de Narbonne qu'au milieu du XII* siècle. Mais ce serait une échappatoire peu satisfaisante. Guillaume d'Orange, Ernaud de Gironde, Bernard de Brusban ont déjà dans notre poème (v. 62, ^66, 6j, etc.) les' noms sous lesquels les connaissent tous les poètes épiques ; il est bien peu vraisemblable que, comme tous ces poètes aussi, l'auteur du Pèlerinage n'ait pas entendu par Aimeri leur père Aimeri de Narbonne. D'ailleurs la difficulté que Dous éluderions ici se retrouverait pour d'autres poèmes : le Couronne- ment de Louis, par exemple, mentionne expressément Aimeri de Narbom |r. 211) comme père de Guillaume, et il est difficile d'admettre que cette belle chanson soit assez récente pour avoir transformé en personnage épique un vicomte de Narbonne mort en iiH? 1^ tradition qui fait prendre Narbonne par Aimeri, père de Guillaume et de ses six frères, est d'ailleurs tellement répandue au xii" siècle qu'il est bien invraisem- blable qu'elle ne remonte pas au moins au xi*. La vérité c'est que l'hy- pothèse de Fauriel, tout ingénieuse qu'elle est, doit être rejetée. Notre poème ne saurait en aucun cas être postérieur à 1134, date de la mort d'Aimeri II ; or comment un baron de Septimanie, qui passa sa vie à guerroyer dans le nord de l'Espagne, serait-il arrivé à devenir chez nos jongleurs normands ou français assez populaire pour être introduit de son vivant dans la tradition épique ? Fauriel pouvait croire la chose pos-

I. Hlit. de la poésie piovtniak^ t. Il, p. 410- Hist. litt. de la France, i. XXII, p. 467; C. Hofmann, dans les Comptes-rendus des siancis de l'Académie de llnnich, 1871, p. j}8; Gautier, Ep. fr.^ t. III, p. J18.

^a c. PARIS

sible, parce qu'il jugeait nos chansons de geste bien plus récentes qu'elles ne sont, qu'il pensait qu'elles avaient suivi des modèles provençaux, et qu'il attribuait l'introduction d'Aimeri de Narbonne et de sa iille Ermen- jart dans le cycle épique aux troubadours qui effectivement entouraient celle-ci et l'ont chantée. Mais alors les poèmes provençaux en question seraient du milieu du xii" siècle, et leurs copies françaises ne pourraient guère être plus anciennes que la fm de ce siècle. Or il est certain, sans même parler de notre chanson, qu'Aimeri de Narbonne était célèbre bien plus tôt dans l'épopée française.

On pourrait essayer de sauver au moins une partie de l'opinion de Fauriel en faisant le prototype de notre Aimeri non pas d'Aimeri 11 de Narbonne, mais de son père Aimeri I, qui tint Narbonne de 1080 à 1105. Mais il faut avouer que toutes les circonstances qui rendaient séduisant le rapprochement fait par Fauriel cnire l'Aimeri des poèmes et Aimeri II disparaissent dès qu'il s'agit d'Aimeri I, et la vraisemblance de l'identification se réduit à l'identité du nom. Faut-il donc regarder cette identité, qui paraît s'étendre à trois personnages, comme pure- ment fortuite? Remarquons d'abord qu'elle est moins grande qu'on ne l'a dit. Le fils d'Aimeri II, qui ne fut d'ailleurs pas tué par les Sarrazins à Fraga, mais mourut avant son père, s'appelait Aimeri comme lui, et non Aimer. Ensuite l'existence d'une première Ermenjart, femme d'Aimeri 11, ne me parait nullement prouvée : elle figure, d'après Catel (Mém. pour servir à l'histoire du Languedoc, p. 585, 587), dans un acte de 1 1 26 ; mais dans un acte de 11^0 la femme d'Aimeri est appelée Ermessent. Je soupçonne une faute dans la lecture du premier acte, et je suis porté à croire qu'Aimeri II n'a eu qu'une femme du nom d'Er- roessent, et deux filles, appelées Ermenjart et Ermessent (voy. Hist. du Languedoc, éd. Dulaurier, 111, 691). La coïncidence se réduit donc à l'existence, dans l'histoire et dans la poésie, d'un Aimeri de Narbonne et d'une Ermenjart, sa femme suivant les poèmes, sa fille suivant l'histoire. Même ainsi restreinte, cette coïncidence est remarquable, et on ne peut guère y voir un simple effet du hasard.

Je crois en effet que la coïncidence est voulue, mais je l'explique en sens inverse. Si le premier vicomte de Narbonne qui a porté le nom d'Aimeri avait été un étranger, investi à un moment donné de la seigneu- rie de Narbonne, le problème serait insoluble ; mais il n'en est pas ainsi : Aimeri 1 était fils de Bernard, et Bernard lui-même était le hui- tième descendant, de mâle en mâle, du Mayeut que nous trouvons établi comme vicomte à Narbonne au commencement du x' siècle. Il est fort vraisemblable que si Bernard, vicomte de Narbonne, donna à l'un de ses fils le nom d'Aimeri, c'est parce que le nom d'Aimeri de Narbonne était, vers la fin du xi* siècle, très célébré par les poèmes. Son fils en fit autant ;

LA CHANSON DU PÈLERtNAGE DE CHARLEMACNE 4^

son p«it-fils, Pierre de Lara (fils de sa fille Ermessenl et successeur d'Er- mcnjart), suivit leur exemple, et nous trouvons jusqu'à neuf Aimeri parmi les vicomtes de Narbonne jusqu'à la fin du xiv' siècle. C'est exactement ainsi que le nom de Guillaume s'est perpétué dans les maisons d'Ommelas, des Baux, de Châlon et de Nassau, qui ont successivement possédé Orange, et qu'il est encore aujourd'hui porté par le roi des Pays-Bas'. C'est aiu même goût pour l'épopée héroïque, mêlé sans doute de prétentions généalogiques , qu'on doit attribuer le nom d'Ermenjart donné par Aimeri 11 et à sa fille. H faut d'ailleurs remarquer, sur le nom d'Aimeri, qu'il devait être répandu à Narbonne avant le xt° siècle. Nous trouvons au x' un archevêque Aimeri de Narbonne' : il est fort possible qu'il fût de la famille des vicomtes, comme Pierre, frère de Bernard, archevêque de Narbonne et tuteur de son neveu Airaeri 1 à la fin du XI' siècle. Rien n'empêche d'ailleurs qu'au ix" siècle, époque à laquelle nous connaissons fort imparfaitement la suite des vicomtes de Narbonne, un d'eux se soit appelé Aimeri et ait transmis ce nom dans sa famille ; rien n'empêche qu'il ait été le véritable héros de la poésie épique, et qu'elle en ait fait plus tard le père des guerriers les plus célèbres dans le midi.

Je crois avoir détruit le seul obstacle vraiment redoutable qui s'oppo- sait à la conclusion que je veux établir, et qui est d'attribuer le PcUri- lugt de CharUmagnc à l'époque antérieure aux croisades, au troisième quart environ du xi' siècle. Avant de terminer cette étude, il est bon de relire ce curieux petit poème pour voir si, en dehors de la fable elle- même, quelque détail ne nous fournira pas une indication sur l'époque il a été composé.

Dès le début, nous voyons Charlemagne prendre sa couronne au « rooutier Saint-Denis ». Cela nous rappelle une charte de Louis le Gros, datée de 1120, dans laquelle il restitue à l'abbaye de Saint-Denis la couronne de son père et s'impose une sorte d'amende pour ne la lui avoir pas remise plus tôt : jute et consuetudine... regem Francorum insi-

gnia SMCto martyri deferunturK La reine, en voyant son mari si

irrité de son imprudente préférence pour le roi Hugon, lui offre de se soumettre à une épreuve judiciaire qui assurément, si elle avait bien tourné, aurait prouvé une protection spéciale de Dieu :

Emperere, dist ele, mercit por amor Dca...

I Cependant ici la coïncidence a commencé par être fortuite : le prsmier comte d Orange appelé Guillaume, Guillaume d'Ommelas, n'avait rien à faire avec Orange quand il reçut ce nom ; mais il était très répandu. Le nom d'Ai- aeri, au contraire, est assez rare hors de la famille de Narbonne.

2. Hut. gin. du Ltneucdoc, éd. Dulaurier, t. III, p. iij, etc.

j. Suger, Œuvra, éd. Lecoy, p. 44 i.

44 G. PARIS

Je m'escondirai J3, se vous le commdti, A jurer serement ou juise a porter : De la plus halte tor de Paris la citet Me lairrai contreval par créant dévaler Que ja por vostre honte ne fut dit ne penset.

Certes nous sommes ici en pleine poésie, et des épreuves de ce genre n'étaient pas appliquées dans la réalité ' , mais ce moyen de se disculper auquel la reine a recours spontanément n'a guère pu être imaginé qu'à une époque les épreuves judiciaires étaient tout à fait usuelles. Le roi Hugue est empereur de Grèce et de Constantinople, E si tient tote Perse tresque en Capadoce.

Ce nom de Cappadoce peut paraître bien moderne et bien savant. Il est en effet l'un et l'autre, mais dès le x' siècle il circulait dans le peuple, à cause de la légende de saint George, qui se répandit vers cette époque : on le trouve aussi dans te Roland {v. nyi). La mention de la Perse comme faisant partie de l'empire du roi Hugue semble bien encore indi- quer que le vers sur Us Turcs e. les Persans est une interpolation (voy. ci-dessus, p. 28). Le roi prend son bourdon et sa besace « à Saint- Denis de France », comme le fit Louis Vil, mais, trait assez remarquable, c'est Turpin à qui est attribué l'office que remplit Suger en 1 1 47 ; les témoins de cet acte solennel, qui attira une si grande affluence, n'auraient sans doute pas fait faire par un autre que l'abbé de Saint-Denis la bénédiction des insignes du pèlerinage, Les Français prennent leurs palmes à Jéricho, puis

I OItrée! Deus aiel crient e hait e derV

Oltrie était le refrain d'une chanson propre aux pèlerins, et signifie sans doute proprement : « En avant! n On trouve aussi bien cri«r outrée que chanter outrée. Guillaume de Saint-Pair, décrivant le pieux empressement des pèlerins qui se rendent à une fête de Saint-Michel, nous les montre chantant des psaumes et des hymnes, et ajoute : Qui plus ne puet si chante outrée! Ou Deus aie! ou asusée (v. 765)! La chanson attribuée à la dame de Faiel (voy. Rom. VIII, j6o) dit au refrain: Dieus, tjuant crieront: outrée ! Sire, aidiés au pèlerin. Le Pèlerinage Renart se termine par ces vers : Lors ont crié : outrée! outrée! Si ont fête la retournée (le mot se retrouve encore dans Audigier). On en avait fait en latin ultreia; la chanson des pèlerins de Saint-Jacques, qui est du milieu du xit^ siècle,

1 . Les épreuves étaient ordinairement déférées et non demandées, et celui qui les refusait, qui se recroyaU, avouait par la qu'il avait tort. On peut cependant rappeler ici la terrible épreuve à laquelle se soumit à Antioche le pauvre prêtre Pierre Barthélémy, pour établir l'authenticité de la sainte lance.

2. Le ms. porte Ultrt, et la nouvelle édition lit : £ utirt Deus aïe •. La bonne leçon avait cependant dé]4 été donnée dans l'article de M. P. Paris.

U CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMaCNE 4$

a pour refrain : E ultreia! e suseia ! decantemut pariter {Histoire Uttèrairt de la France, i XXI, p. 277). Or rooi dans ce sens appartieni cer- uinement au xr siècle, puisque Landulf de Saint-Paul raconte qu'en

1098 u Anselmus Mediolanensis archiepiscopus praemonuit prae-

electam juventutem Mediolanensem cruces suscipere et cantilenam de

tttirtia! ultreia! caniare. .. Atquead vocemhujus cruces susceperunt

eteandem cantilenam de ultreia! ultreia! cantaverunt » (voy. Du Cange, I. V. Ultreia] , La forme du mot semble indiquer qu'il venait de France (quoiqu'il ne faille pas sans doute y reconnaitre 'ultrata, qui au xi* siècle aurait fait oltrede); il ne se trouve à ma connaissance dans aucune autre iangK romane. Notons que olirée est accompagné, dans deux des pas- ages que nous avons cités, de sosie (ou asusée), mot formé de même, et qui a le sens de : « En haut! » Susee se trouve aussi seul, et toujours, comme oltrée, mis dans la bouche de pèlerins : Quant se furent segnié si crièrent: susée (Antioche,t. il, p. 192)/ Sus^e de son côté parait avoir eu pour pendant vaUe, qui signifierait : « En bas! a Une bergère surprise s'écrie : « Susée Bartsch Sus see)! vaUe! » \Rom. et Past. Il, 612, var. Yalic! susée!), ce qui montre d'ailleurs ces mots en dehors de leur emploi ordinaire. Un autre cri des pèlerins était Dieus aie [au est à l'impératif), que nous offre notre passage, et il ne faut pas reconnaitre le cri natio- nal des Normands. Guillaume de Saint-Pair fait chanter à ses pèlerins OBtrie, Deus aie et asusée; Pierre Barthélémy, quand il sortit, à Antioche, du feu il était entré avec la sainte lance, cria : Deus adjuva [Hisi. Ou. des Croisada, t. III, p. 284)/ Les chevaliers du roi Hugon sont vêtus

de pailes e de hermines bians, E de granz pek de martre jcike as piez trains nz ;

comme les chevaliers de La chanson de Roland, comme Ganelon, quand

Oe son col jetet ses grandes pcis de martre, Et est remés en sun blialt de paile.

Charles exprime ainsi à ses compagnons l'admiration que lui inspire le palais de leur hôte (v. ^6^ ss.) :

Seignun, dist ChjrJemaines, molt geat palais at ci ; Td nen out Alixandres ne li viclz Costaotios^ Ne n'eut Oisaos de Rome qui taoz honors t>a$tit.

Les deux premiers noms se comprennent fort bien : ils étaient l'un et l'autre familiers à la tradition populaire ; mais qu'est-ce que ce Grisant de Rome qui bâtit tant d'honneurs, c'est-à-dire tant d'édifices somptueux ? C'est certainement le même personnage auquel plusieurs textes attri- buent également au moins un monument de Rome, le ChasUl Creissanî ; ce château est mentionné dam une chanson de geste perdue, dont j'ai

^6 C. PARIS

déji eu occasion de parler, dont Ph. Mousket nous a conservé l'analyse et qui a servi de base au poème postérieur de Fierabras ' : c'est que les chrétiens se réfugient ; il en est également parlé, comme d'une forte- resse dominant la ville de Rome, dans le roman des Sept Saga en vers, éirit vers le milieu du xii' siècle d'après un original sensiblement plus ancien ; Gautier Map, dans le recueil indigeste, mais si curieux, dont un seul manuscrit nous est arrivé avec le titre de de Nugis Curialium, parle également du Castdlim Crescens. J'ai émis autrefois sur cette for- teresse dominant la ville une conjecture que des textes qui m'étaient alors inconnus viennent pleinement confirmer. Le château Saint-Ange est appelé Château-Croissant à partir de la fin du x* siècle. Ce nom lui vient du célèbre Crescentius. qui fut maître du môle d'Hadrien et exerça de lu sa domination sur la ville de Rome; c'est dans cette redoutable for- teresse qu'il fut assiégé par Otton II, et c'est du haut des murailles que son corps décapité fut précipité par ordre de l'empereur. Son nom resta longtemps attaché au « château » qui avait été l'instrument et le tkmter rempart de sa puissance ; toutefois ce nom ne se maintint pas l te souvenir de Crescentius s'effaça et l'ancien nom de « château Saint- Aage « prévalut de nouveau'. Le nom de « Croissant de Rome » dans notre poème est donc un indice d'antiquité relative. Quant à l'hémistiche qui le suit, n qui tanz honurs bastit », il ne faut peut-être y voir qu'une nwniére de finir le vers ; mais on peut lui accorder une valeur plus nette. lit peuple attribuait naturellement à « Croissant » la construaion du (hlttr«u qui portait son nom ; or il existe à Rome un édifice des plus CUiieux que plusieurs archéologues font remonter à la fin du x* siècle, ^U* le peuple désigne aujourd'hui par les noms de Casa di Rienzi ou CM'i M f'il.ito, mais il a aussi été appelé CasadiCrescenzio^, et c'est sans (loulC! l'attribution la plus ancienne. Les pèlerins du xi*" siècle, dans les h :t"ls noire poète a puisé, voyant la riche demeure de « Crois-

>u,t , ^ avoir admiré son imprenable château, devaient lui attribuer

4Wlft« constructions encore, et en faire le grand bâtisseur dont parle (\M^vi' ' iiUi^e. Le roi Gotias [v. 4i4 n'est sans doute que le VfM^^ dont le nom se trouve sous la forme Golias dans plu-

limu HWt» Utins. Un fantastique « roi Golias » figure dans le roman ttl f^wt^Wl. D'ailleurs Golias devait surtout être célèbre parmi les gens

\',\, ft\A h*il Ji CharUKagne,f. 2^1

fCSTl,

Citittntii, appelé aussi casttllum ou Jomus Thio-

MùWtnho^ iZeitsihr. f. d. Alt. XII, 519), sans

Je Nibby. Gregorovius et Jordan.

n'est pas antérieure au siècle, elle ne lui est

Mttl^^MC ijuc de très peu; voy. Gregorovius, Geschichu der Sladt

LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE 47

<\\à avaient fait le pèlerinage de Jérusalem, si l'usage mentionné dans un curieux passage d'Antonin de Plaisance au vi' siècle existait encore au xi< ; « Miiliario vicesimo de Jérusalem venimus in moniera ubi occidit

David Goliam Jacet ibi Golias in média via, ad caput habens acer-

Tum ingentem lignorura et super eum congeriem peirarum, ita ut ad millia viginti non possis invenire lapidem quem movere pos$is,quia usus est taiis : quoties quis illuc transierit, ternes secum defert lapides et eos projicil super ipsum tumulum; sic et nos similiter fecimus ' C'est un exemple à joindre à ceux du même usage qu'a réunis M, Lie- brecht dans un très savant article \Zur Volskunde, p. 267 ss.). Le nom de ta fée Maseut (v. 4Î0), qui fait le vers trop court, est sans doute altéré, et je ne sais pas comment le restituer (M. Koschwitz lit Maseûz en trois syllabes, ce qui me paraît bien invraisemblable). En tout cas il ne faudrait pas voir dans la mention d'une fée la trace d'une influence celtique. Le mot fie remonte au latin fata et est inconnu aux Celtes. Dans toute l'épopée carolingienne on trouve la mention de fées célébrées comme tisseuses ou brodeuses d'ouvrages merveilleux, mais n'interve- nant pas autrement dans l'action. Il est dit de la couverture « ouvrée » par cette fée :

Mielz en valt ti conreiz te trésor l'amiral.

Cet emploi du mot amiral absolument, comme signifiant sans doute le commandeur des croyants, Vamlr al moumenim, ne se rencontre pas ail- leurs à ma connaissance et me parait être un indice d'antiquité. Le Roland emploie amlrail pour Baligant, qui est bien le chef suprême des Sifrazins, mais aussi pour d'autres.

Si touteS' les relations que nous avons pu établir entre notre poème et les données de l'histoire ou de la tradition nous ramènent à une époque très reculée, il en est assurément de même des mxurs qui y sont dépeintes^ du style, en prenant ce mot dans son sens le plus général, c'est-à-dire la manière de comprendre les caractères, de poser les per- sonnages, d'exprimer les sentiments. J'ai déjà fait remarquer la naïveté brutale avec laquelle Charle et ses douze compagnons s'enivrent et l'avouent le lendemain ; d'autres traits ne portent pas moins l'empreinte d'une simplicité qui va jusqu'à la grossièreté. En regardant la charrue d'or du roi Hugon, Guillaume d'Orange s'écrie : «Par saint Pierre! si je la tenais en France, et que Benrand fût avec moi, nous aurions vite fait de la mettre en pièces à coups de marteaux. » De même l'admi- ration des douze pairs pour le palais de leur hôte se traduit par cette exclamation : « Plût à Dieu que Charlemagne l'eût conquis en bataille ! '> Olivier jette un regard à la fille du roi Hugon, et dit aussitôt entre ses

I. Éd. de la Société de l'Orient latin, p. 108.

48 G. PARIS

dems : « Plût au roi de gloire, de sainteté, de majesté, que je la tinsse" en France ! j'en ferais tout mon plaisir. » Et son gdb, au sujet de cette jeune fille, manque essentiellement de délicatesse. Le style au sens purement littéraire est peut-être de tous les arguments que j'ai réunis celui qui est le plus convaincant. Il frappe irrésistiblement par son carac- tère archaïque tout lecteur habitué à notre ancienne langue : il présente au plus haut degré cette élégance concise, même elliptique, cette allure saccadée, cette absence de transitions, et en même temps celte extrême précision des termes et ce réalisme dans le détail qui donnent tant de grâce et d'originalité aux monuments les plus anciens de notre poésie nationale. Il offre souvent des obscurités, qui ne tiennent pas toutes à l'altération du texte ni à notre connaissance imparfaite de l'ancienne langue, qu'on peut sans doute reprocher au poète, ainsi que le défaut de proportion de son œuvre et de son style, mais qui, si j'ose le dire, ne nuisent pas à l'effet produit sur nous par ce conte étrange et fantastique, les accents de la plus noble poésie épique se mêlent aux éclats du rire le plus abandonné, le poète semble se plaire à dérouter ses audi- teurs et à les faire passer par les sensations les plus soudainement diverses, comme le roi Hugon s'amuse à fasciner ses hôtes en faisant tournoyer, au son des cors de bronze et des tabours, la grande salle de son palais.

J'ai dit plus haut que la différence de ton qui se fait si vivement sentir entre notre poème et quelque ancienne chanson purement épique, comme le Roland ou le Charroi de Nîmes, tient en partie à ce qu'elle n'était pas destinée au même public. Notre vieille épopée est primitivement la poésie des hommes d'armes, des barom et des vassaux : les jongleurs chantaient leurs œuvres ou celles des autres soit dans les châteaux, soit en accompagnant les expéditions guerrières ou même en engageant le combat. Mais bientôt ils cherchèrent naturellement un public plus nom- breux et plus varié, et profitèrent des assemblées qu'attiraient les pèleri- nages ou les foires pour y faire entendre leurs chansons. Celles qu'ils composèrent en vue de ce nouvel auditoire, naturellement très mêlé, durent avoir un autre caractère que les anciennes, tout en leur emprun- tant leurs personnages, leur cadre et une partie de leur inspiration. Le spirituel auteur du P'derinage nous offre dans son petit poème un des types les mieux réussis des productions de cette catégorie : il ne s'appuie que très légèrement sur la tradition, il mêle le comique au sérieux, il place les héros consacrés dans des situations toutes nouvelles et qui con- viennent peu à leur gravité, en un mot il se joue des données tradition- nelles, et au lieu de chanter, comme les poètes antérieurs, ce qu'il croit vrai, il trouve ce qu'il juge amusant; il est complètement au-dessus de son sujet et le façonne avec toute la liberté de l'artiste, tandis que les

^ 4

La chakson du pèlerinage de CHARLEMAGNE 49

pères de notre épopée étaient dominés par la a matière », et ne s'atta- chaient qu'à reproduire aussi fidèlement qu'ils en étaient capables l'ins- piration qu'elle leur fournissait. Ce caractère personnel de notre poème, à une époque si reculée, est un de ceux qui le rendent le plus digne d'attention.

il excite encore l'intérêt par plus d'une autre circonstance. Il nous offre le plus ancien exemple du vers de douze syllabes, coupé en deux bémistiches : VAltxis et le Roland sont écrits en décasyllabes. Certes l'auteur du Pèlerinage n'est pas l'inventeur de ce qu'on a bien plus tard appelé l'alexandrin, mais il a précisément le mérite de nous apprendre que dès le milieu du xi' siècle ce vers, destiné à une telle fortune, et qui paraît n'être qu'une extension du décasyllabe, s'en était dégagé et se prétait comme lui à être aligné par les poètes populaires en bisses asso- nantes et à être chanté avec accompagnement de vielle ou de rote (voy.

V, 41}, 8î7l.

Ce qui donne encore plus de valeur à la chanson héroi-comique du Pèlerinage, c'est que nous avons le droit de la regarder comme le plus ancien produit de l'esprit parisien qui soit arrivé jusqu'à nous. Nous avons vu qu'elle a été composée pour être chantée à la foire de l'Endit, entre Paris et Saint-Denis ; tout nous indique que le poète était de l'Ile- de-France et sans doute de Paris. Il ne mentionne dans son poème, outre Paris et Saint- Denis, que deux villes, Chartres et Châteaudun. Quand Olivier s'éprend d'amour pour la fille du roi, il souhaite de la tenir « en France ou à Dun la cité |v. 406) '. » Ce passage est précieux, parce qu'il nous conserve peut-être une ancienne tradition sur la patrie d'Olivier, si obscurément indiquée dans le Roland, et transportée depuis dans une région certainement elle n'était pas à l'origine. Quand Charlemagne veut justifier auprès du roi Hugon les gabs qui ont irrité celui-ci, il lui dit que ce jeu d'esprit est un usage des Français.

Si 'st tel costume en France, a Paris et a Chartres, Quant Franceis sont colchiet, que se giuent et gabent, E si dient ambore e saveir e folage.

Il est probable que dans des vers qui auront disparu à ]a fin du poème Ivoj. ci-dessusi , l'auteur nommait aussi Compiègne, pour laquelle Charles avait rapporté le saint suaire. Mais c'est sur Saini-Denis et sur

I. M. Koschwitz croit reconnaître Dijon dans ce Dun. M. Fcerstcr objecte awc toute raison que Dijon ne peut être monosyllabe; il propose de supprimer o \tn France u a Dun la citet), et de lire a Laon la citct. Dun est usité pour Cfeaj^/Jun précisément au XI' siècle ; on trouve Dunum en 1061 et Civitas Duni ta 1089 (Merlet, Dictionnaire topographi^ue d' Eure-et-Loir). Laon ne figure d'ail- leurs que dans une série de poèmes dont la forme primitive est antérieure aux Capétiens: cette ville y est considérée comme la capitale du royaume; notre poime, tout parisien, ne la connaît pas,

Romania, IX 4

)0 LA CHANSON DU PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNB

Paris que porte son principal intérêt, Charlemagne prend sa couronne à l'abbaye de Saint-Denis (v, 1-2'i, et fait ensuite son offrande à l'autel principal (v. 60) ; il reçoit à Saint-Denis son bourdon et sa besace de pèlerin (v. 861 ; aussitôt revenu de Constantinople, il se rend à Saint- Denis, se prosterne devant le tombeau du saint, et dépose sur l'auiel la couronne et le clou qu'il a rapportés (v. 85?-866). Paris n'est pas moins familier au poète ; il se représente Charlemagne comme séjournant et tenant sa cour n a la sale a Paris (v. 61), ainsi qu'il le voyait sans doute faire au roi Philippe (d'Aix et de Laon pas un mot) ; c'est à Paris qu'il arrive tout droit en revenant d'Orient (v. 852); quand la reine veut subir pour se disculper une épreuve solennelle, elle offre de se laisser tomber « de la plus haute tour de Paris la cité (v. 36). s II est fâcheux qu'elle n'indique pas plus précisément celle qu'elle choisit pour cette expérience : nous aurions un précieux renseignement.

J'ai déjà fait remarquer que l'esprit de noire petit poème est éminem- ment parisien et rappelle le roman bien postérieur de Jean de Paris. La capitale de la France jouit au xi'' siècle, sous le gouvernement sage et pacifique des premiers Capétiens, d'une longue période de tranquillité, qui dut être aussi une période de prospérité. Il s'y forma, au-dessous du monde brillant qui entourait le roi et la cour, une riche bourgeoisie, très convaincue de la supériorité que le séjour du roi donnait à Paris sur les autres villes de France, et sans doute déjà libérale, spirituelle, posi- tive et quelque peu frondeuse. L'épopée nationale, née dans les pro- vinces et toute pénétrée de l'inspiration âpre et belliqueuse de la féodalité, devait subir une réfraction toute particulière en pénétrant dans un milieu si différent. C'est probablement dans le voisinage de la cour, mais dans des sphères plus hautes, sous l'influence directe de la royauté, que la chanson de Roncevaux a pris fa forme qui nous est parvenue ; en face de cette poésie chevaleresque le Pèlerinage de CharUmaj^ne me paraît repré- senter la poésie bourgeoise; l'un de ces poèmes a dû, comme on aurait dit au xvu" siècle, plaire à ta cour, l'autre surtout à la ville; les Parisiens qui, il y a huit siècles, entendirent pour la première fois, à la foire de l'Endit, le conte merveilleux dti voyage de Charlemagne en Orient, n'en adorèrent pas sans doute avec moins de dévotion les reliques exposées à Saint-Denis; mais ils furent charmés des péripéties de la chanson qui en racontait l'histoire, ils rirent avec leurs femmes des gabs des douze pairs et de la déconvenue du roi Hugon, et ils restèrent plus fermement convaincus que jamais que nulle nation ne pouvait se comparer aux Français de France. « Nous n'irons jamais dans un pays, répétaient-ils avec le poète, nous n'ayons l'avantage et l'honneur. » Ja ne vendrons en terre nostre ne seit 11 loz.

Gaston Paris.

TRAITÉS CATALANS

DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE

(Sidte*).

IV. Jaufré de Foxa.

Don [fiigo Lopez de Mendoza, marquis de Santillana, prévoyant que des lecteurs, plus prompts à critiquer autrui qu'à composer eux-mêmes, pourraient reprocher à sa poésie certaines répétitions de rimes ou de vers, se défend par avance dans la préface de ses Proverbios en disant que dans les poèmes d'une certaine longueur de telles répétitions sont permises. Aussi suppose-t-il que ces critiques ne pourraient émaner que de gens ignorants, < los cuales, * dit-il, « creeria

< non aver leydo las Régulas del trmar escriptas e ordenadas por Reuon Vidal

< DE Besadug, orne assaz entendido en las artes libérales e gran trovador ; nin c la continuûçion dtl trmar fecha por Jdpre de Foxa, monge negro, nin del maillorquin ilamado Berenquel de Noya ; nin creo que ayan visto las Le-jes f del Consistorio de la gaya dotrina que por luengos tiempos se trovo en el c collegio de Tolosa, por autoritad e permission del rey de Francia '. »

Un contemporain du marquis de Santillana, Don Enrique de Villena, s'ex- prime ainsi dans son Artt de trobar ou Gaya Sciencia : f El Consistorio de la f gaya sciencia se formé en Francia en la cibdad de Tolosa por Rauon Vidal c DE Besal(> 3... Este Ramon, por ser comenzador, no fabl6 tan complida-

< mente. Succediôle Jofre de Foxa, monge negro, e dilaté la materia, llamando t a la obra que hizo Continuacion del trobar. Vino despues d'esté de Mallorca t Belenguer de Troya {sic), i 6zo un libro de figuras i colores rhetoricos*. »

1. Voy. Remania, VI, }4i, et VIII, i8i.

2. Obras de don Inigo Lopez de Mendoza, marques de Santillana..., compiladas e illttstradas ... por D. José Amador de los Rios. Madrid, 1852; p. 28. Le passage des Leys que le marquis de Santillana a pu avoir en vue se trouve au t. 1, p. 140.

3. Il est à peine besoin dédire oue cette assertion est tout à fait erronée.

4. Mayans 1 Siscar, Origenes de la lengua espaiiola. Madrid, 1737, II, }22. Nous n'avons pas l'ouvrage d'Enrique de Villena dans son entier ; nous n'en

- .7 ;- du XV" siècle environ,

. . ..: Jauiré de Foxa et sur

; :;s. C'est d'après le mar-

: ri-jé Raimon Vidal parmi

-:-e juteur qu'il mentionne

:; Berengarius de Noya^ ».

_ :; N.7a se trouvaient dans le

-_ r.irin: perdu et, selon toute

..-Lt: zizi la copie conservée à

_ --.:'.. Présentement occupons-

-.• .r; ■. ni M. Mihi y Fontanals,

. .::S. ;es premières et les der-

■. -. :; rechercher de quel lieu il

..■ :ji.-d. c'est que je ne trouve

•■.:-■ ou Foja, mais seulement :-.:iblement le lieu cherché".

.•;-:-v-::n, Torres Amat n'avait . - ; jnage du marquis de San-

..:.-:té sutfisante : le ms. con-

•:;-::.-n qui manque à notre ms. >; Jéduit de son prologue

.-..•.-Je de Jacme, roi de Sicile.

-iT 1286 au 23 juillet 1291, ■; i'.-\rai:on, laissé vacant par la -:--ut le ;i octobre 1527. La

i son protecteur, semble indi- =■■ c? cas, Jautré écrivait-il à la

e dire, ne trouvant ni dans le :.- .-enseignement sur l'activité

NÎ.:V3ns, abrégé ainsi indiqué à ;■:? Je trobar, de Don Ennque .- r Ticknor. History of spanish

. tjt d'une faute de lecture. ->S. Il, 576.

:■ .' r.::;o Je los c sentons cala-

: .".îutre y est intitulé ArU poeticj,

«■ h.ilia entre los papeles de

.-. \ou!u probablement écrire,

'..Î-. uc . I uno de Lis siete

.\rij;oa mourut d'un accident de

TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE JJ

littéraire des Catalans i la cour de Jacme, soit comme roi de Sicile, soit comme roi d'Aragon '.

Le but que s'est proposé Jaufré de Foxa est clairement exprimé dans son prologue. Raimon Vidal de Besaudun, dil-il en substance, a fait un traité inti- lolé Rtglti Je trobar. Ce traité n'est pleinement intelligible que pour ceux qui entendent la grammaire \grjmmatica, le latin). Mais, comme trouver » con- vient à beaucoup de personnes qui ne savent pas la grammaire, je me suis attaché i composer un traité qui fût à leur portée. » Il est permis de douter que notre auteur ait atteint son but. L'opuscule de R. Vidal n'est, il est vrai, qu'an recueil de remarques ou de préceptes isolés et assez mal groupés. Mais il s'en but que l'écrit de Jaufré de Foxa soit plus complet ou mieux composé. On y trouve des régies de composition littéraire, de grammaire, de venification, le tCDt, non pas jeté au hasard, car l'auteur annonce son plan (^ 2) et s'y conforme, mais groupé selon un ordre très imparfait. Du reste, toutes ces remarques, quelles qu'elles soient, sont fort élémentaires et par conséquent peu instructives. Notons cependant les observations du § 40 sur la Faute que com- mettaient certains Catalans en ne tenant pas compte, dans les rimes, de l'r des mots en ars, irs, in, ors, ats. C'est qu'en effet IV dans cette position se faisait i peine entendre*. C'est aussi en Catalogne, bien que Jaufré n'accuse pas nommé- ment ses compatriotes, qu'on faisait rimer les toniques ( fermé ipoJer)^ e ouvert (»trj), ir {cavallier). De telles rimes, blâmées par notre auteur (^ )7-8), sont très fréqoentes chez Raimon Lui]. Notons enfin la mention, entre les langages appro- priés à la poésie, du sicilien, ce qui pourrait faire croire que l'auteur écrivait en Sicile, et du gallicien, désigné par l'expression espagnole galUgo (^ 11).

L'importance du texte, qui voit ici le jour pour la première fois, consiste sur- tout en ce qu'il constate théoriquement ta tendance des Catalans à assimiler leur idiome au provençal. Il ne paraît pas que jusque vers la fin du moyen âge les Catalans aient eu conscience de l'individualité de leur langue. Leurs premiers poètes composent en provençal ; le petit traité de R. Vidal est aussitôt adopté par eux et leur fournit un nom, celui de langue limousine >, qu'ils acceptent aussitôt, par lequel ils désignent leur idiome littéraire, à l'opposition du catalan (cttalanach, ^ 1 ij, leur idiome vulgaire, et qui, chez eux, a joui et jouit encore d'une popularité qu'il est loin d'avoir obtenue au nord des Pyrénées. Enfin ils adaptèrent à leur usage les compositions grammaticales de l'école de Toulouse, dont plusieurs, comme on le verra par la suite de la présente publication, n'ont été conservées que par eux. Et cependant, tandis que, pour certains points spécialement étudiés par R. Vidal, tels que la déclinaison, les écrivains catalans se soumettaient aux règles provençales, pour le reste, ils écrivaient naturellement leur idiome, ne croyant pas s'écarter du pur limousin des Reglas dt trobar. L'écrit de Jaufré de Foxa, malgré ses tendances provençales, est du

1. Ticknor(I, Z90, éd. de 1865) dit seulement : t If Alfonso the third and James the second were nol themselves poets, a poelical spirit was found about tbeir persons and their court. ■>

2. Voy. Mussa6a, Catalamsckc Vcriion dcr Sicben wdstn MasUr, préface, n* j6.

■:.- ;;5 altérations causées par

:'.. notre Jaufré aime à citer -rc-ruver toutes ses citations, .c.rcïs maintenant perdues '.

P. Mlykk.

foxa.

:.-. ietrobar savis e enten-

- -; «jber, en llurs trobars, ;:C':rae ensenyament per

- jijtet e fe un libre qui es ■: r.jils homs no puga per- ." . e trobar sia causa que ; i dachs, a marqueses. a ;- er.cara a altres homens r..;j : eu, en Jalfrks de :-."a.. per la grasia de Deu . zrantmen studiey e pessey ::;:rina en romane per que :rs en sobtil e clar engvn, :r:bar. E si alcuna causa de ■: piatz fort que la pusquen iùVîLA m'o ensenya en una

::;. ■;■-? "ai '-min pour vérifier les

;- ::.\ c;î.!t:<-ns de FerramaRnino :

■..■: :• ■•."• ^•'' Tcrrama^nino i GirauJo

\ .-:-< >a r:-.ce Kwn Jon Dieus ijut'

V .■-T.ir.wu l'avait trouvée de son

X. 1 jj:::' e^t celle des w. :24-^,

-. .. Malin. GV.î.fAft-, n' :t-i.

"r: ■•'"-■• 4- /■■"«'"''■''/II)» emprunta

.". .■.■••. -ir." C-. Ces vers sont Jort

TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE JJ

Nota quantes causes deven esser guardades en trobar.

3. En trobar deu guardar cascus nou causas, ço es saber : rayso , ma- neyra, nombre, linaige, temps, rima, cas, lengatge, article.

;. Rayso deu hom guardar per ço cor la mellor causa que ha mestier totz cantars es que la rasos sia bona e que hom la vage continuai! , ^o es a entendre que de aquella rayso que començara son cantar, perfassa lo mig e la fi. Car si tu començes a far un sirventesch de fait de guerra, o de reprendimen o de lausors, nos conve que y mescles raho d'amor; o si tas canço o danza d'amor, nos t[r)ayn que y mescles fait d'armes ne mal- dit de gens; si donchs per semblances no o podielz aporlar a raho.

4. Maneyra es que d'aytantz rimz 00 faras la primera cobla faces les ailres, e que les rimes de les cobles sien serablantz en llur loch e pars en sillabes, en axi que la primera rima de la primeyra cobla sia semblan a la primeyra rima de la segona cobla. e atressi a la primeyra de totas les altres cobles; e la segona rima de la primera cobla a la segona rima de les altres cobles. E en axi deus ap[ar|ellar lotes les ailres rimes. Em- pero be potz far la primeyra cobla d'unes rimes e cascuna de les cobles d'altres rimes; 0 potz fer las primeyras duas coblas d'unas rimas e dues altres coblas d'altres rimes, e les altres cobles d'autres rimes. E aço es maneyra, que axi com començaras 0 perseguesques ; pero tota hora deven esser les cobles d'un nonbre e en rimes e en sillabes.

Nota que es nombre,

5. Nombre es que ajustz una causa ab una, e moites causes ab moi- tes, axi con bom ditz le reys ve, o s'en va) ; e aquell reys non es mas .]., e aquell ve e aqueyl vay non parla mays d'altre, per que s'acorden. E aque&tz nombres etz' appellatz singulars. Atressi, [cant] ditz hom ti rey venon, 0 s'en van, e abduy li rey, son duy e 5 son mays, e axi son moitz, e aycell motz vtnon, 0 s'en van parla de raotz, per que s'acordon ; e aço es appellat plurals, per que es dit be. Mays le reys venon 0 s'en van es fais, car aquests motz U icys parla d'un, ells venon raostra que sien motz; el vtnon significa que sien moltz+, perque séria fais en nombre, don es obs que d'aço se gart totz homs. Empero, si tu pauses dos nomenetiuz sin-

iorrompui. On en trointra un texte plus correct dans U Parnasse occitanieo, p. ryi ; Jiftz au qualriime vers : Si per dreg m'o contraditz.

I. Cor, qui se rencontre souvent ici concurremment avec car, n'est pas une faute; onen a d'autres exemptes. Cf. Chabaneau, Rev. des I. rom. 2,1, 513,^ propos du ». 1 1 1 1 du roman catalan des Sept Sages. La mime forme est releva au glossaire ie itttx textes catalans publiis par M. B. Muntaner sous ce titre : Invencion del cuerpo de S. Antonio abad e Historia de la hija del rey de Hongria. Palma, 187J. 2. Corr. es. 3. Corr. o? 4. Corrompu? Il faudrait, et semble, cui, ou iiefui- M/cn( ... parla a'un, e venon o s'en van mostra (ou signJÀca) que sien niotz.

J4

pur catalan, <. les copistes.

Comme K. les troubado! dont quelque

ra pinral, per ço car duy

. -se 3E à m nominatiu plural ; e

xrço cor lo verb singular a axi coin qui desia :

I. Lo» <■•: denz, vesei a donar a < que pogues appellat Ht fetament e;-. pranga} a princeps, s laichs li pi FuxA, per ; rey de Sicii a dar, sego cells qui nv pusquen mi! reprenimer.i esmenar se.: sua canço c.

. ^K X 0 xsKni, axi com qui desia .;y^ sm. -xna. Mas, dir rey s fronça, s, - s'xanâ. axi com qui desia gt 3nn ffS pariar de linatge. Em- B :. jcs quais son appellats en jsMni; axi com qui desia f ilrs qu'en hi ha semblantz se§uir aquesta manera e ; qui fenexen en entz, el "^ -^ ja. ttaenz, jausenz en lo roas- g^ jBseai, manenîa, e d'alcunz

^ ^.^ a. Tsaps sia semblant e acor- ■*■" . ^^ tuam^s qaem do rich joy, car '*" , jcs^ ?* V^^ s'acorden ; e per "^^Zats «0**^ *^" i"*^'" presen temps ~ _j ^atat. axi com qui desia yeu ■^ ' -, .-awr; per que d'ajso te deus

1 . Les rei citations de . la première <■ le Koux, tai. repaire (Hcrr côté ; voy. . tirée de la p

2. Corr. i. à R. Vidal, ...

^g^^ S ievets saber que son dues "*V^ a aK Jo accent del mot se fay en •'■"^l* j yag. e molts d'altres qu'en hi * ^*^tfa » ^tuat lo accent se fay en la ^ jfx «ix« com fiasença, sofrença, "^^ .-yitf «oHiRts a aquestz. En alguns

"** "m Ja"*- * aquella cove de fer

*J* .

^ jflB j ns, 2. Corr. entz. *»• ' ^ jai *w <"« Leys, II, 70, 4. Ou

ilS*

TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE 57

per força l'accent; en axi co pas, franchi, larcns, e d'altres asats; e a les veu es le motz de dues sillabes, axi co do[m]pney, vensd, tcnza ; e del domp- itej fac l'acceni en la derreyra sUlaba, e del vensa e del tema en la pri- meyra sillaba. Encara, a les vetz, es le motz de très sillabes axi corn jioiimenz, a les vetz de quatre, axi com mahtralmenz; a les vetz de cinch, aii com amoroiamentz. Pero, de qualche longaria sia, l'accens s'a afTer en la derrera sillaba o en aquella que denanl li estay pus près.

Nota que es accent.

9. Accent es con hom agusa la votz e la rete pus en una sillaba que en altra, en axi co conexenz, que en aquell xenz qui es derrera sillaba s'agusa pus la votz que en les altres sillabes; o en axi co benanança^ co en aquell nan qui es denan lo ça, s'agusa plus lia vois que en les altres. E si vols saber en quantes Hêtres se deven acordar les rimes, guarda en quai sillaba se fay Paccent, e en la primera letra vocal de aquella sillaba tu comença apropellar ' e comptar las letras -, e primeyramen pausa aquella vocal e puys las autres qui après li venen. E aço deus far quant l'accent se fay en la derrera sillaba o quant se fay en aquella qui es denant la derrieyra : en la derreyra axi co plasenz es aquell sens, per que, laxada aquella letra s, deus pendre e començar la rima en aquell cnz, car la s, DO es de la rima com aquella e sia la primera e sia letra > vocal de la sillaba, per que li ve a rima gens o sofrens. Attressi deu hom far quant l'accent se fay en la sillaba que es denant la derreyra, axi com semblunsa; la sillaba que esta pus près denant la derreyra es blan, perque devets començar la rima en aquella letra a, e puys que pauses totes les autres ieires, per que li ve a rima França 0 dança. F. sapias que' las letras vocals que son cinch, scilicet a, e, i, o, u. Donchs que faras si trobes aquesta rima uensa? car aquella letra u, es la primera letra vocal de la sillaba en b quai se fay lo accent ; e per aquella raho qu'ieu t'ay ditxa dessus, deu- ras començar la rima en aquella leira vocal u, e puys que pausaces totes les leires altres per orde. Mas certas non es tengut, per ço car aquella letra a te aqui loch de letra muda e no sona axi coma vocal, e puys per[t] sa natura en lo so, raho es que perda son dret en la rima ; e quant ne trobaras semblantz fay atretal. Empero d'aquestes vocals nenguna no pen son so, sino lesdites dues u s i : u pert son so axi com yensa, vayre, wstrt ; i pert son so axi com qui diu /«, jors, lonjana : e per aquesta raho vensa fay rima ab unsa, e nostrd ab vostra e vayre ab layre. E atressi es rima /'« ab bes, e jors ab amors, e lonjana ab senana ; per que seguiras aquesta manera com ne trobaras de semblanz. E deuts entendre que nulls motz qui facen rima no deus tornar altra vetz en loch

I . Cerr. atropelUr ? 2 . Corr. com aquella e sia la primera letra. 3 . Corr. de ?

58 p. MEYER

on fassa alira rima en lo cantar que faras, sia que tu començes lo cantar 0 que y respones, si donchs aqueli motz no habia divers entendimentz ; e per eximpli mostri le aysi una cobla :

Eu faray canço en may, No per tal c'adoncs am may, May car e[u] acordat m'ay Que si |am deu valer may Mi donz, hon ay lo cors mes, Qu'eras m'ajut* com ops m'es; Car sim davall jor sine mes, Manjan nom voyrion * mes, Tais es la dolors qucm^ puny ; E noi vuyl exir del puny; C'ades a ley servir puny, C'avan totz bos (los) vasalls puny.

Encara polz tornar o mètre en ton cantar un mot dues vetz, ab que la una vetz sia verb e l'altre nom, e[n] axi com qui desia : Tarn ammidonz cors azaut Que d'altr'amar no m'azaut.

Primers azautz es nomen, e l'altre es verbs. E per senblant maneyra potz usar dels altres motz quan loch sera. Atressi potz tornar en la segona cobla una o dues o très o tôles les rimes de la primeyra cobla, ço es a dir los motz qui fan rima, ab que en totasias autras coblas seguenz faces atretal. E aço, qui ho sap fer, es gin e maestria^.

10. Mas deu cascus guardar forment car ii hu s'alonguon e l'autre s'abreujon a la fi. Alongar apeyl eu quant aquesta leira ; o z se pausa a la fi : s, axi com bes o merces, reys savh; z, axi com sufrentz, amatz, grazitx, celatz, e moitz d'altres; car si tu pauses bis la on deus pausar be, 0 pauses sofren la on deus pausar sofreniz, fas fallimeniz gran contra cas; e mostrar t'em en son loch, al miels que porem ni sabrem, quant los deuras abreujar o allongar.

11. Lengatge fay a gardar, car, si tu vols far un cantar en frances, nos tayn que y mescles proençal ne cicilia, ne gallego, ne altre lentgage que sia strayn a aqueli; ne aytanbe, sil faç proençal, nos tayn que y mescles frances. ne altre lengatge sino d'aquelt. E sapies que en trobar proençales se enten lengatges de Proença, de Vianes, d'Alveryan e de Limosi, e d'altres terres qui llur son de près, les quais parlen per casi. Empero, si tu irobes en cantar proençal (si alcun mot qui sia frances o catalanesch, pus hom aqueli motz diga en Proença o en una d'aquelles

I. Ms. maint. i. Corr. Maniar nom volria .j? j. Ms. auen. 4. // devrait y avoir ici une rabriijue sar les cas. 5. Imilè Je R, Vidal, id. Sungel, p. 70, lignes 4-7. ou Remania, VI, J46, if 6, cf. la note.

TRAITÉS CATAUNS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE 59

terres qai han lengatge covinent, los quais lors son près, aquells motz potz pusar o mètre en ton trobar o en ton cantar' ; e si ayso fas, no potz dir per axo que sia fais. E de les damunt ditz motz potz pendre exiinpli per aquesu pa'u, va, sus, e d'alires moiz qui son frances e lemosi, axi com dona 0 castell, saber, haver, e moltz d'altres qui son cala- Unz e proençals, mes en los caniars son mes proençais que alires.

Aci paria dels articles.

12. Articles son .vij., ço es saber, U, le, la, lo, e aquestes se ajusten ab Romen singular; //, las, los, aquests se ajusten ab nomen plural. En singular s'ajusta aquell // ab mot femeni allongatz, lo quai [es] en cas nominatiu, ïxj com // ciutatz es bella^. E atressi s'ajusta ab mot femeni qui fenesca en a, sol que aquells motz sia nominatiu, axi com // reyna ve. Le s'ajusta ab mol singular qui sia masculis e allongatz, axi com le reys ve. La t'ajusta ab toi femeni qui sia singulars e abreujatz e que fenesca en a, e que no sia nominatiu, axi com eu vcy la tor, o la dona, o ta rtyna. Lo, t'ajusta ab toi mot masculi abreujat en singular, en axi com no am lo mon ne lo stufaytx. En axi li e la, en singular, son femeni, e le e lo son masculi; //, en plural, s'ajusta ab tôt mot abreujat, en axi com // cavalier tenon o U rey guerrejon, e aquell mot sion masculi. Las s'ajusta en plu- ral ab tôt femeni, en axi co las flos venon, o eu vey las donas. Los, en plural, s'ajusta ab toi mol masculi qui sia allongatz, en axi con ta vey los urallers, 0 li falco lian près los agros. Empero eu t'en diray pus breu régla : En nominatiu singular masculi ditz e met hom le, e en femeni ditz e met hom li. En los alires cazes del singular ditz hom lo, si es masculis, c si es feroenis ditz hom ta. En plural, si es nominatiu masculis, ditz bom II, e en los altres cazes ditz hom los; c sil nom es femenis, en totz cas ditz hom las. E axi deu posar e ajustar lois homs los articles als nooienz.

I), Ara t'ay dites les sposicions de les nou causas damunt pauzadas, per quioz ^ cove dir e amosirar huymas en quala manera poras conexer los cases. E per ço com séria causa greu donar a entendre a home no tabeni gramatica que es nomen, pronomen, particip, nomen verbalz, verbs, conjunccionz, proposicionz, inlerjeccionz, adverbis, per aquesta raho no havem voluntat de parlar sino de aquells per los qualz conesca lo cas; car per los unz enien hom puyz los altres.

I. Cf. R. Vidal, éd. Sungcl, p. 70, /. 40 d /;, 71, /. 2, ou Rom., VI, 346, If 9. 2. Rcmarqaom qui nolri auteur n'admti que li l'exclusion dt la) comme arbelt fiminin du cm sujtl. En auoi d ut en dêmccord avec la Leys qui n' admettent ^ttt \i a iomidercnt l'emploi de li comme vieilli, antix (II, 11 4}, ou propre à eutadui partie t de l'Auvergne (II, ii^, cf. ibid., 122); mais cet emploi a ili ir'es ripandu et test eonservé fort tard en Provence. j. Con. quens.

58 P. MEYER

on fassa altra rima en lo cantar que fiaras, sia que 0 que y respones, si donchs aquell motz no habîa e per eximpli mostri te aysi una cobla :

Eu faray canço en may, No per tal c'adoncs am may, May car e[u] acordat m'ay Que si jam deu valer may Mi donz, hon ay lo cors mes, Qu'eras m'ajnt^ com ops m'e' Car sim davall jor sine mes, Manjan nom voyrion ' mes, Tais es la dolors quem* pun E no! vuyl exir del puny ; C'ades a iey servir puny, C'avan totz bos (los) vasal j;

;3n nomens

Juchz, CAfOU^

î d'altres mo^^ :î« les quai» «o»^ i;2un accident ^^ jppeliada nomeii -s .n primen, tu lo^ . sraqnettBomenz^ . - sKT seoz b nomei^ _- si aoa ban rasuoda» ^.aaneo bdk, bot, rxkfaBfMn ni belles» pcrqnecorequesi ■«Btturaloacd-

Encara potz tomar o mètre en ton canto.. la una vetz sia verb e i'altre nom, e[n] axi Tarn ammldonz cors aza Que d'altr'amar no m'a^^

Primers azautz es nomen, e I'altre et potz usar dels altres motz quan loch cobla una o dues o très o totes les dir los motz qui fan rima, ab que en atretal. E aço, qui ho sap fer, es ^ft

10. Mas deu cascus guardar f< s'abreujon a la fi. Alongar apeyl eu la fi : f, axi com bes o merees, reyT^ jm grazitz, celatz, e moitz d'altres; tr be, 0 pauses sofren la on deus pau: cas; e mostrar t'em en son loch, los deuras abreujar o allongar.

11. Lengatge fay a gardv, i nos tayn que y mescles proençr' que sia strayn a aquell; ne a* mescles frances, ne altre leng proençales se enten lengatgei Limosi, e d'altres terres qui 1 Empero, si tu trobes en a catalanesch, pus hom aque

^ 2àtNfi bn nom ajeciin

,fcvietttt;e frmcSj arinats, ; e deu los dir

lHrtfItfun;perque qui aia sustan-

ço es saber, nomi-

■s, ablatius, Tuyt

que nos pausen

itîu e lo ! voâh

ijon ; ei nomJnatia

L. E aquesia régla es

k> nominatiu sin-

00 btii m'es ^a*ia

Fayditz :

^BtBasculïs ne femenis. car

iJ 9ih ^ ^ parlas de femeni

d'aquell avinen, mes

r. I^namen ditz hom no

i aomtnatiu, mas no es

aUoDgat^; e sapies

1 . Ms. maint. a. Corr. Jevrait y avoir ici uiu rubriqm p. 70, lignes 4-7, oa Roman

rahW par M. Mastafia

SÊgct, ta mot FER. -^

; poden. j, Carr.

60 p. MEYER

14. Primeramem devetz saber que totes les causes qui son nomena- des e han sustancia, en axi com Deuz, angles, reys, comtes, duchz, caval- iers, viles, terres, Jolianz, Raymonz, ayres, f asters, freners, e d'altres motz qu'en hi ha senz nombre, cove a for que aquestas cosas les quais son appellades nomen, haien alguna natura o algun acte 0 algun accident 0 alcuna causa, qui los a justada ', aquella es axi matex appeilada nomen, per que eu te dich que com tu los ajustaras als nomenz primers, tu los deuz posar en aytal caz com aquell a qui l'ajustaras, car aquests nomenz, segonz que son accident, en la major part no poden esser senz lo nomen primer, per que lor coven asseguir llur natura, car ell non han sustancia, ans los cove esser en los nomz qui han sustancia; en axi co bellz, boz, blanchi, emantz d'autres, car beutatz ne bondatz ni blanquesa ni bellesa no podon esser sino en los nomz qui han sustancia, per que cove que si lo nom que ha sustancia s'alonga, que l'altre nom qui so natural 0 acci- dent s'alongon, e sil sustantiu se abreuja,que l'altre qui han nom ajectiu s'abreujen, en axi co Deus es bos, e jotz ^ e merceners, sants, benezets ; e tuyt aquest nom so natura! en Deu; 0 le reys es larchz, francs, avinents, perque s'alongon? Car llur sustantius naturalz s'alonga; e deu los dir breuz en axi : aysi no say null rey tant bon, tant car, tant plazen ; per que tôt en axi co pauses Deus ho rey 0 qualque autre nomen qui aia sustan- cia, deus pausar tots loz altres numz que allur ajustaras.

1 5. E devetz saber que li cas de! nom son sex, ço es saber, nomi- natius, genetius, datius, acusaiius, vocatius, ablatius. Tuyt aquest cas pot* esser singuiar 0 plural; e devetz saber que nos pausen may en dues maneras, ço es saber que tots tempz li nominatiu e lo ( voca- tiu singuiar s'alonguen, e ii autre caz singuiar s'abreujon; el nominatiu el vocatiu plural s'abreujen, e li altre cas s'alonguen. E aquesta régla es gênerai, mas empero cascu dels nomz ha excepcio, car lo nominatiu sin- guiar s'abreuja quant no es masculi ne femeni, en axi co iyell m'es qu'eu xan, 0 mal m'es qu'eu faça mal, o axî co dix Gaucelmz Fayditz :

Assatz crey Que bell me fora t avinen, Per que aquell beyll no parla de nomen qui sia masculis ne femenis. car si parlas de masculi dixeras beyls m'es le reys, 0 si parlas de femeni dtxera bella m'es ta dona; e axi matex se enten d'aquell avinen, mes per ço c'om parla generalment, nos pot allongar. Eyxamen ditz hom no m'es aysiu que cavalqae encara; e aquell aysiu es nominatiu, mas no es ajustatz a masculi ne a femeni, per que no pot esser allongat^; e sapies

t. Il y a ici i'tmploi ptiona^iaue de a far tfui a déjà été relevé par M. Mussofia dans le glossaire de son édition au roman catalan des Sept Sages, au mol feb. 2. Corr. qui lor sia |ustada? j. Potir justz. 4. Corr. poden. i. Corr, li. 6. Cf. R. Vidal, éd. Stengti, p. 73, /. 27-)^.

TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE 6l

que aquest nominatiu aytal son appellat neutra, e no pot esser en nom que liaya sustancia, axi coin en Deu, en rey, en nau, o en manz d'alires semblantz a aquesU ; car aquest nom totz tempz s'alonguen en le singu- lar nominatiu, atressi le nominatiuz pluralz s'alonga lots tempz com es femeni, en axi com hom diiz, lu flors venen, o son vengudas ; per que dix Gaucelmz Fayditz :

Don me venon al cor plasenz dou(ors*.

E par aquesta rayso sapiats que no pot fallir null temps a allongar totz noms femenis en plural en tois cases.

|6. Per que a conexer quai es nominatius o acusatius se cove prime- rament de conexer e de saber quai causa es verbs, car nulla paraula no pot haver emendimen si no ha nom e verb. E devets saber quel verb nays del nom, car tôt so quel nom fay es verbs, en axi co le reys cavalca bdl cdhall, que aquell riys es nom, e aquell divalcd es verb, Car es causa quel nom fay, ço es a saber le reys que es nom. E sabxais quel nom qui es pausatz denan lo verb, segonz raso es nominatius, per que deu esser aliongatz, e totz nom qui sia pausatz detras lo verb deu esser abreu- jatz, per que en aquesta paraula, le reys calvaka bell cavall, aquell reys qui es nom s'alonga, car esta denant aquell molz cavalca qui es verb, e aquell autre mot bell cavall s'abreujon, car son nom qui son pausatz detras lo verb. E aço devets far cant li nom son singular axi com eu t'ay ara dits ; quant li nomens son plural, tôt lo contrari, axi co li rey cavalijuen beylls cavallz; car luyt li nom que en plural stau denant to verb s'abreujon, pus son masculi, e li nom qui detras li son pausat s'alongon. Cant li nom son plural e femeni, ya ay dit que en lot cas s'alongon ; per ço t'ay dit quel nom sia pausatz denant lo verb o detras, segonz raço, car a les vetz aycells nomz qui segonz rayso e emendimen es pausat denant io verb, sera, per raho de rima o per autra causa, pausatz detras lo verb. E ayso pot veser per exirapli d'en Fouquei que dix en una sua canço :

Pus ella vol venser tota ves (^'una venç la vences merces'.

E aycells verbs vences de sa natura vol après son acusatiu qui s'abreuja en singular e en plural s'alonga ; per que hom ditz en axi : le reys ha vistz tôt son enemich o lots sos enemkhs, els primers enemich es singular el segon es plurals ; mas aquell mot rverces, sitotz s'es pausat detras lo verb per ordenament de rima, segonz rayso e entendiment es pausat

1. Dans la pike : Tant ai suf«t longamen greti afan. li y a pour te vers citi Jeux. Uçons, l'une adopUe par Ra^nouard [0\a\x^ III, 289), Vautre, celle que nous avons ici. par Rochegade (Parn. occit. 108, ms. jr. 856, /o/. 72 d).

2. Fin du premier couplet de la pièce : Mok i fetz gran peccat arnors (Lex. rora, I, J43). Il Jaat lire: P. ilh vol. v. lotas res | Qu'u. veiz la venques m.

62

denant lo v; merces est:r. per far rinî. Bertrans

Per que ii miers que- pus que 0 enten aqi: pus que c^ segons r:iy per ço s'a! sats dena;. conexer { motz quis axi segon-; vezer qui.- aquell toi qui han a. . gon en si: so, era. . per eximr

fuist bon.',

ja no /il'.: nyen. E ■:• lar, en ;i.

ditz // n

matex del

cambien i.

texa, COLS

aquell csi.

tri e sent .

eu me scn:

gays. K

membran

car li aui:

ralment,

mostron .

cai-all, e .

ralmen l<:

e puys n

aquell no:

_»,» _rc - 1 a: ?n>eiiçal, pensatz d'ar-

- .= r^sa: ^el nominatiu el voca-

_. _ »>»■ £ 3n qui ditz : Donas plazents,

~: -;~ : vrwr rey

^35. -. ,7= T=-.S3:2S, e son aquestes : ab,

; ^ ss. acre, sor, fors. E tots

■g-j'. ; 2 _iîral s'allonguen, axi corn

~^ _ _ ^ an s2aidre de motz altres per

^ . i i xsBSCa. genetiu, datiu, acusa-

_^ _ - «a sasil que tota hora que tro-

--^■•^ ^trxaàoBz que t'ay dites

" '_^ - jsxi. i s: es plural tu l'alonga. E

" " 2 ■<» .-3 xsts- ib nominatiu ne ab voca-

. s ^SD ieoNStratiuz, ço es a dir los

^ .^ js 381 sistanda. E sapies que en

. _^ aîccpr. axi com cells, atfuestz,

^*" . j ,sr» >3ses s'abreujen, e ditz hom

j.--< irss nomz derrere ells [s']a-

- ""^ __^ .acsJS 5sneninis ditz hora ceyla, cil,

' ' .-^^esiitz hom ley 0 leys; e en los

. -gs -— '-. Jv«//, a<ju//, cist, aycist,

"^ .. 1: ■«»■ "7-^' ayceïls, aquelU, aquests,

^ -^3S ic hom «v//(«, aycellas, ceyllas,

, ^ 'j.iBiudus com en los autres cases.

j^jjrs fol: e en los autres cases

ia los autres cases totz ; e per

«SEW*»

._; T-,<- fM/r dretura, o tof rê)» Jeu

_^tt;. ; rc wv* vey asemblar.

' ^ -.-c riusar los noms possessius, en

]^ ^seriics allongaras els abreujaras en

4 338^ axi com qui diu : aquells cas-

as ."0*8 iJ '''*»w ""«i 0 teu, 0 seu, ay

„-j suri: deu hom dir // teu, 0 // mieu,

j^ ,10 3001 ditz me pot hom dire mi 0

.. SIC 2c«a dire se 0 sey, e en tôt loch

.. ; jjpies que en lo nominatiu sin-

^-" ,^Bs »«iv»l$ qui fenexen en dor com '''^ . «lits <ktM semblants a aquestz. E sapies

-U

TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE 65

que si denantla siilaba derreyra qui es dor, trobes a, faras lo nominatiu en aire, axi corn amador, amayre ; tauzador, lauzayrt; merceyador, mer^ uyayre ; e en axi dels altres semblants a aquesU. E si trobes [i] denani la siilaba dor primer, faras lo nominatiu en ire, en axi com servidor fay stmirt, trasidor trasire, e motz d'altres semblanlz a aquestz. E si trobes denant !o dor «, faras lo nominatiu en ey re, en axi com entendcdor enten- deyrt, fanyedor fa[ri]yeyre' . E sapies que tuit aquesi nom s'alongon o s'abreujen, quai te ptacia, el nominatiu singular, en axi que podetz dir amayre o amayres, servire o servires, entendeyre 0 entendeyres. E per ço s'alonguen cor es régla gênerai que totz nominatiu singular s'aiongon, e perço se pot abreujar car sitot'z'i son abreujats, si hay gran diferencia en l'un e els altres cases, per ço cor lo nominatiu singulars fenexen en ayre, o en yre, o en eyre, e li autre cas fenexen en or, o en i>'; car sapies quel nominatiu plural fenexon en dor, e en totes altres cases fene- xen en dors, en axi com la régla gênerai manda. Aquest nom so masculi ; e tuyx ii femeni d'aquest verbals, sapies que fenexen cominalment en itz, axi com amayritz, galiayritz, transiriîz, serviritz, enUndcintz. E axi matex entench que pG[sa]ras tots los altres semblants.

25, Encara sapies que son algun altre nom qui han atressi mudament plus que abreujar o allongar de una letra, en axi com gençor, que fay en \q nominatiu singular genser et en los altres cases gensor, el nominatiu plural fay gensor et en los altres cases gensors; et axi matex diu hom en lo nominatiu singular meyUr, e en los altres cases mellor ; e axi matex en lo nominatiu singular diras aaser et en los autres cases ausor, et en kw plurals seguexen la roaneyra de gensor. Empero enten la régla que l'ay dessus diixa quel nominatiu plural femeni s'aiongon totz temps, per que hom ditz // rey so gensor, mcUor, ausor, las reginas so mellors, ausors, gcawrs; e axi matex diu hom en lo nominatiu singular hom, bar, layre, b*yU, coms, et en los altres cases ditz hom home, baro, layro, baylo, comte. E sapies que tuyt aquest nom qui han aytal diferencia entre lo nominatiu els oblichs se podon, o en aitre hora, allongar e abreujar a ton plaser en lo nominatiu singular, acceptât aquell motz coms qui nos pot abreujar per ço c'om no poden ' dir com ; e sovinga te tota vegada qoel nominatiu el vocatiu son semblants, car solament son appellatz obtich li autre .iiij. cas, ço es saber el genetiu, el datiu, el acusatiu, el ablatia. E sapies que en lot lûch on diras ley podetz dir leys, e (d)/or, (ayors.

Encara sapies que tuyt li nom que fenexen en i>, poden finir en ire, en axi com martir, martire; désir, désire; sospir, sospire. Mâs li nomina-

I . Pour (enyedor fenyeyre, avec a pour e arant la tonitiue, ce qui cn ordtnairt itiu il cataliui oruntal ; cf. Milà, Trovad. en Esp., p. 462, cl Mussafia, prlfact eu Sept Saga, if t. 2. Corr. ors. j. Corr. pot.

Romania, IX c

P. METCR

tâs qae V"*»^ es ôrx nos podeo aDoogv ta trépan cooi dr mvIDX, or BOB pae &r. or a m b' ^usuta e, dim aalEnst', eserie lag e no Tndne oc ic.

26. Eaon siçBS ({oe adfabis son matz, e son nfwnnmi aiivabis car pies loverib.efoulion lien' e dexenakanenteni&aent, e[n]axi boa ditz k rtjî parU be, fraacamat, e aqnefl be e framcMmad son adreriâi car estaa près lo Tcrb, e aqod]^£« es verbs per cpie fi squsten zfoi. fPKndimfn com potz reser aqoell be o aqoell fnacMmtat. E sapies que Fadrerfai ao ia cas, per que fenex cascos en nna uunejra soiament, en an com bom (fitz b< fajtz o nu/, car no porieo dir besy 0 foytz, o «lii ho fiju, o enazi com bom dhz : cayakatr, tost^ étzaat,fort, qoe ya snrf nos modo d'antra goisa. Empero no entenes en aquesta regja los adigfan <fâ fenezen en pun, car aqoell s'alongon o s'abreojon a la Tofeniac dei trobador, azi com ^amtat, aninatmmt o sabiamaa, que pdz <Sre pnamemt t coriiUMtments. fer que posaras azi tots los altres scmKantz a aquestz. E sapies que son alguns molz qui algnna vetz son noms o adrerbi, po* quels potz posar doas retz en rima en un cantar, azi com bom ditz be, axant, g/Êllart, fort, raoB, mal, gen, e tacixz d'aitres semblants a aquesu ; e tostz pansais azi breu com son advert». Mas com son noms s'alongon o s'abreujen segons lo cas en que son pausatz; com son adrerbi s'abreujon, en azi com bom ditz U rejs canka be, o bejU, o Uig, o fort, o mal, 0 gent ; e azi posaras los altres. E cant son nom se posen en azi que ditz bom le rejs u geiit[z], azaatz e betts. E si aies ditz U rey doaa nlenter, sapies que aquell nUnter es adYeriHS ; e per ajso es be dig, car si era nom, diria bom roUntas, per ço car séria nominatios. E son estau alguns trobadors qui debien que era £ilç, per que no paria hagaessen auzit ço que dix en Riques Noves, qui dix :

Mal ùif dona car non eoqner Panbre caTalier quant es pros, HbbûIs e franchs e amoros, Bos d'anses e serf Tnlattr\s).

37. Sapies que t'ay dig que tôt ço quel nom bj es verb, per que deretz sâktr quel Terb ba sincb manqras : la primera es maneyra demostranz, perque bom lo appella indicatiu ; la segona es maneyra comandanz, per que l'appella bom imperatiu ; la ter^ maneyra es desi- ranz, que bom appella optatiu ; la quarta maneyra es ajustanz, per que bom l'appella conjunctiu ; la quinta es maneyra no finida, per que bom l'appella infinitiu. Primerament sapies que indicatiu es aquella maneyra qnîl ) mostra ço quel nom fay, en azi com bom ditz eu. am, eu roo, eu

I. Paaagt nsiUœitat corrompu. 2. Corr. ve? ;. Corr. quit, ou que?

TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE 67

mtagi, eu cavalcli. E sapies que ell ha très temps : présent, pasatz e sde- renidor. Présent temps es am ; pasatz temps es amey, amaba e habia amai ; sdevenidor temps es amaray, yray, faray. E cascus d'aquetz temps ha très persones, ço es saber, primera, segona, terça. La primeyra dcl présent temps es am, la segona âmes, la terça ama ; e en la primeyra se enten tu, en la segona si enien in, e en la terça uyl; e aquestz verbs son singulars. El plural han altres très, axi corn amam, amatz, amen; e en lo primer s'enten nos, en io segon vos, en lo tercer ceyt. E axi matex ha lo temps passatz très persones, axi com amey, amest, amet ; es aquell vcrbqui en aquest loch fan en poden axi matex fenir en «f '; atressi ditz bom en lo plural amtm, âmes, ameron. En lo temps sdevenidor diu hom amarty, amans, amara ; en lo plural ditz hom amarem, amaretz, amaran. E sapies que tuyt U verb qui en aquest loch fenexen en ay poden finir en ej ; e en axi com hom ditz amaray, amarey ; faray , farey. E son alcuns verbs en los quais en Ramons Vidals dix que li trobador havien errât, en axi com dir en la primera persona del indicatiu eu cre, com hom dévia dir eu crey, tu cres, ceyl cre; e en axi aquell cre significa terça persona e no primera '. Encara dix que havian fallit posan en la terça persona del temps passât de l'indicatiu ausi, vi, grasi, irasi, co tuyt aquest verb sion de primera persona e no de terça ; car en la primera persona ditz hom vi, auzi, trasi, grasi, e en la terça ditz hom ausil, vie, grasic; e que en axi debia hom pausar totz les autres semblantz i ; o eu alirey* li que segonz art el dix ver, e quels deu hom axi pausar, mas no li alirey que li trobador errason, per ço car us venç art, e longa costuma per dret es hauda tant que vençi per us. E con sia us en algunes terres on le Icngatges es covinentz e autreyatz a trobar que tuyt corainalmenl diguen aytam o plus en la primera persona eu cre com eu crey, e en la terça persona diguen aytant aasi com ausic, per aquesia raho die eu que ii trobador no y faltiron, car ill seguiren lo us del lengatge e la cos- tuma, e pus tuyt li trobador ho han ditz en llurs trobars, es us e confer- mamentz de lengatge. Mas si us o dos ho haguessen ditz, asatz pogra dir que fos enrada, perque die eu que cascus pot dire quais que mes li plasia. Atressi die aquest verb tray quel podem axi declinar : eu trasch, (8 tray s, aquell tray ; o en axi : eu tray, tu iras, cell tra ; e en axi aquell tray pot esser primera persona o terça, e en axi matex pausa hom atray, esiray, retray. E l'infinitius fay trayre, atrayre o trar, en axi cora dix us

trobador(s) :

Bem platz car ab vedar L'avesques no sastia,

1. Pasiagt torrompuf 1. Voy. R. Vidal, id. Slengcl, 8i, 50 i 84, jj. |. iiiJ., 84, 36-41. —4. Pour aulrey; cf. Mussafia, préface des Sept Saga, t^ 17, rt la non. 5. Corr. ven?

68 ^^ P. MEYER

Dines sabtar E père ab besvesia*. Es atressi que hom pusca dir en terça persona tray n'Aymerich de Peguila nos ho ensenya qui dix :

En luy so tuyt li bon ayb c'on retray Estres que Urt promet e leu estray, E eu no puch sotrir los mais qu'eu tray*.

28. Imperatiu es aquella manera con hom fay mandament az alcu, ez a singylar, axi com hom ditz home vay t'en, 0 manja, cavalca; ez en plural axi con hom ditz anatz, mtnjaîz, cavalcatz, e non ha mays présent temps e segona persona.

29. Obtatiu es aquella manera qui mostra semblant de desirar, en axi con hom ditz en presen temps iu volrria, tu manjaria, si habia que j e en temps passât si lieu bagues cavalcat, si heu hagues pro manjal, eu fora sadoyls. E sapies que ha plural e très persones e temps esdeve- nidor(s).

;o. Conjunctius es aquella manera qui ajusta algun faig a les altres maneyras, en axi con hom ditz eu vos prech que m'ajudetz ; di al rey que cavalque ; e aquell ajudetz e aquell cavalque es maneyra ajustans; e ha très persones e très temps.

^1. Infinitiu es maneyra no fmida, e no ha persona ne singular ne plural ne temps, mas ajusta s'ab primeyra persona e a segona e a terça e a totz temps e a totes les autres maneyras, e co en si no sia (inida, feneys las autras maneyras, en axi con hom ditz anar, manjar, entendre, mover, e a maneyra demostran en présent temps s'ajusta, axi com [hom] dilz«u le vullauzir; a maneyra comandan, axi com vay manjar ; a maneyra desigan, axi con hom diu eu volrria foc encendre; a maneyra ajustan, co : eu mic{h) voigues mover K En axi eu dich que aquet ausir feneix l'entendiment de aquell vull, ez aquell manjar d 'aquell vay, ez aquell entendre de aquell volrria, e aquell mover d'aquell mi volgues. E devetz saber que aquesta maneyra, la quai es appellada infmitius, se pausa algunas vetz en loch de nom denant lo verb 0 deiras. E per ço com es pauzats denant lo verb, ell s'alonga en axi com le nom ; e per eximpli, axi com qui ditz vostres servirs me platz. E com es pausat detras lo verb s'abreuja, en axi com qui ditz no vull vostre servir, e aquella

I. Corr. Dinelrjs $ab racap]tar, ou ademprar, E pe[njre ab envaziap 2. Dans la piice : En amor trop alques en quem refranh, Makn, Ged. ii9)-6. ). Priscitn, Vlll, 69 {dans Keil, Grammatici taticii, II, 42 il : Infinitus est

< qui et personis et numeris déficit, unde et nomen accepit jniiniti, quod nec

< personas nec numéros définit, et eget uno ex quattuor supradiclis modis

< (('. c. indicative, impcrativo, optativo, subjunctivo) utsignificct aliquid perfec- « tum, ut t(S<r( propero, Icgere propera, ulmam Ugirt propcrarcm, cum Ugut proptrem. »

TRAFTÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POéTIQUE 69

bora es pauzat en loch de noni^ per que rayso es que seguesca sa ma- nejra. E encara deves saber que motz dels infinitius que fenexen en ir podcn atressi fenir en ire, en axi com ausir que potz dir auzire, o dir, iirt; ayzir, ayzirt.

%2 '. Mas nengunz infinitius finens en />, no poT finir en ire, si tu lo trobe« en lo nominaiiu dels noms verbals que fenexen en idor ; e per «impli axi com servir qui es infinitiu, e no pot[z] dire eu vos vull servire ; per ço com servire es nominatius d'aquest nom servidor ; ne potz dire eu U riUl grasire, non vullan mentire, ne deves decir jausire, no pusch h mal sofrire, nom devetz iransire, car tuyt aquist son nominatius en singular de llurs noms ; e per eximpli, axi com hom diiz eu suy gallarti servire; eu. say dels mais grasire; eu suy dels bons et dels mais sofrire; eu suy d'amor jasire; non siats trasire; ja nous seray mentire ; e per aquesta maneyra Mguiras dels altres. Encara son d'autres infinitius qui axi matex fenexon en ir, e nos podon allongar en ire, per ço cor no son irobat en noms ; e per eximpli axi con venir e acolUr e adousir e afortir. E aquestz en nuila manera nois podetz aliongarne poden esser termenalz en ire, perla raho dessus dita, e per tal car no es anz mellors de lengatge. E axi ne tro- baras motz d'altres semblants a aquests. E sapics que aquests hauras a conexer per lonch us, e per longa practica '.

; } . Atressi sapies que potz allongar en ire tôt verb qui fenesca en ir : e per eximpli axi com hom diu eu desir[e\, eu désire ; eu cosir, eu cosire. Et aço matex faras dels altres semblantz a aquestz. Encara sapies que tuyt li verb que fenexon en isch podon finir en is, e per eximpli, axi com qid diu eu jausisch, eu jausis ; eu grusisch, eu grasis * .

J4. Atressi sapies que tuyt li verb de segonda persona que fenexon en eti podon finir en es, e per eximpli axi com qui desia entendetz, entendes; faretz, fares ; e axi dels altres. E atressi matex potz far dels noms, e per esûmpl), axi com bos pretz, bas près ; una vetz, una vis.

J5. Atressi sapies que tuyt li nom que fenexon en itz poden finir en is; t per eximpli, axi com aunilz, aunis; fayditz, Jaydis; farsitz, jarsis; Biatritz, Biatris ; amayritz, amayris.

]6. Atressi sapies que tuyt li nom que fenexon en ichs poden finir en tf ; e per eximpli axi com amichs, amis ; enemichs, enamis ; enichs, enis.

J7. Encara sapies que devetz fort gardar que no metatz en alguna* rima alguns noms qui fenexen en ers, e son très o tray i quai te vuUcs

I. Je suu la division du ms., mais c'est trois lignes plus haut, à E encara, ^ue ialinèj dorait commencer. i. La question Je savoir si Us verbes en -ir (lut. -ire) paatnt admettre un e final, a 11, réciproquement, lu verbes en -ire yp.-ex. lat. dicere) peunnt Itrt pnm de leur e, a ili examinée depuis par les auteurs des Leys d'jmors, 11. 404-6, qui n'ont pas mieux réussi que J. de Foxa à l'élucider. % Us Leyi, II, 364, donnent grazisc et graziihi. 4. Plutôt una. 5. 0 tray m'iti ûhuut

70 TRAITÉS CATALANS DE GRAMMAIRE ET DE POÉTIQUE

potz dir, ço es a saber podyers, cavalliers, envers, car le us no pol fer rima ab altre, ans hi a mant hom errât ; per que develz pausar de una part poders, voUrs, sabers, avers, aders, spers, lasers'; e axi raatex deus pausar tols los infinitius qui fenexen en er[s] quant son pausatz en loch » denant lo verb, en axi com teners, vesers, temers, e molts d'autres qu'en trobaras. E deus saber que d'altra part deus pausar envers, revers, convers, pervers, esmers, Besers, sofers, fresquers, esters, mers.

j8. D'autra part pausaras cavalliers, mestiers, scudadiers, miers, diniers, estiers ; e de aquesiz irobaras assatz ; mas en aquo los potz conexer, que en aquest[z] trobaras tots temps [i] denant la e de la derrera sillaba (primera). Encara quel porets conexer en lo femenique fan en eyra, axi com soudadiers soudadieyra, viers veyraf, plasentiers, plasentieyra.

J9. E sapies quel nom dessus dit, ço es saber convers, esters, fan llur femeni enversa, conversa, esters cstersa ; aquells ahres nomenz, sabers, poders, no han null temps femeni, per que los potz conexer assatz ab aquesta doctrina qu'eu t'ay donada serta.

40. Encara sapies qu'eu te do altra régla per ratio d'alguns noms en los quais erron alcuns homs que usen de trobar, e assenyaladament en Cathalunya ; e ells cuydon ho far per gallart parlar, 0 per tal que mellors venga allurs rimes, e fallen en axi en los noms termenatz en ars, en «rj, en irs, en ors, en urs, que Irason dels motz aquella letra r, per quels mudon d'enteniment e de lengatge ; en axi que moltz homens ay eu vists a cuy venion en les rimes aytal mot : amars, tars, avars; espers, plas{i)ers, vokrs; martirs, ausirs, sentirs; flors, amors, cohrs; purs, murs, scars, e trasion per la dita raho aquella r de la fi del mot ; en axi que com degron dir amars, cars, avars, dezien, amas, cas, avas; e com degron dir spers, plas'i]ers, volers, edizon spes, plaie{r)s, voles; e com degron dir martirs, dizen martis ; e com devion dir amors, dizionamoi; e com devien dir purs, scurs, dizion pus, scus ; perque fallion malament en moites de maneyres. E tu gardet que en axi no ho messesses 4 per re que no volrria dir nul la re en aytal lochs,

E axi son compUdes les règles d'en Jaufre de Foyxa.

(M suivre,)

I Pour iesen ; cf. p. G^, n. 1 . 2. Suppl. [de nom], (/. p. 69, /. 1 . j. niers neyra? 4. Corr. menesses.

ÉTUDES DE PHONOLOGIE

ESPAGNOLE ET PORTUGAISE.

CREY, LEY et REY disyllahes dans Berceo, l'APOLONlO et t ALEXANDRE.

A lire l'explication que Diez, Cramm. I, p. 267, donne des formes esp. et port, ky et rey, auxquelles il eût pu ajouter grey, on voit que pour lui elles remontaient aux intermédiaires * LEG et * REG. La voyelle serait d'abord tombée, puis la gutturale serait devenue i. Il est cepen- dant a priori sûr et certain que les bases en ont être LEGEet REGE. C'est ce qui est confirmé par les formes lee ou lié, lees ou Uis, grée ou pU^ qu'on rencontre à c6té de Uy ou lei, rey ou rei, dans le FJ. (= Puero Juzgo) du comte de Campomânes et dans celui de la Biblio- thèque royale de Munich (Cod. hisp. 28). Lee est évidemment LE(G)E. Grty, ley txrey présentent-ils la contraction des deux e en ey ou faut-il les r^arder comme des formes parallèles à gru, lee, ree, \'e final serait devenu / sous l'influence de la gutturale fondue en y, comme cela a eu lieu dansl'esp. hinojo GENUCULUM, /dziWo FACIEM GELATUM, ygunos P. del C. v. 72 JACEAMUS, et dans le port, imào GERMA- NUM P Mais si grey, ley et rey étaient contraaés de grée, lee et ree, ils ne pourraient être que monosyllabes. Or tous les textes poétiques qu'on peut attribuer avec certitude au xiii* siècle et qui offrent une versification r^ulière, tels que les poésies de Berceo, VApolortio et {'Alexandre, comp- tent ces mots pour deux syllabes, ce qui prouve que des deux alterna- tives la seconde est la bonne. Des six cents vers environ que j'ai réunis les deux tien ou peu s'en faut les montrent disyllabes, tandis que l'autre tiers les fait monosyllabes. Je considère par conséquent, sauf quelques exceptions dont je parlerai plus tard, les vers grey, ley et rey sont monosyllabes comme fautifs, comme modifiés par des copistes posté-

I . Édition de l'Académie espagnole, p. j-xv.

72 s. CORNU

rieurs aux auteurs des poèmes mentionnés, copistes auxquels l'ancienne valeur métrique de ces mots était inconnue. C'est ainsi qu'il est permis de retrancher du bagage littéraire de Berceo il n'y perdra rien les trois hymnes qu'on lui attribue, parce que dans les vers suivants rey est monosyllabe :

1 V. 1 1 Tu ères dicho dedo del Rey de magestat il V. 2 Madré del Rey de gloria que nunqua ovist par 1! V. iS Un regno, un imperio, un rey, una essencia III V. 1 1 Non consienta la carne al rey de los pecados

Si, comme j'en suis persuadé, on doit lire dans les textes indiqués gr'éy, iéy et r'éy, il est clair que les anciens plur. espagnols greysy léys et rëys, qui vivent encore en portugais, mais sont devenus monosyllabes, sont les plur. étymologiques remontant à GREGES. LEGES et REGES, tandis que greyes, leyes et reyes doivent leur forme aux innombrables mots od -es restait sans modification par la nature des consonnes qui pré- cédaient cette terminaison, autrement dit ces plur. sont formés du sing. au moyen de -es.

Il est clair aussi que la première et la seconde personne de l'indicatif présent des verbes Uer et régir, que les trois personnes sing. du subjonc- tif de legar, aujourd'hui ligar, de regar et d'autres verbes qui présentent les formules -ÉGE ou ÉGI, devraient être monosyllabiques aujourd'hui, si l'analogie ne les avait fait dévier de leur développement, comme cela est arrivé si souvent dans la conjugaison, qui cherche et saisit tous les moyens de devenir régulière.

Tenant, comme je l'ai dit, pour fautifs les vers des poésies de Berceo, àel'Apobnio et de ['Alexandre, grey, ley et rey sont monosyllabes, j'ai tenté de les corriger, en ayant égard à la chute des atones, à l'en- clise et à l'élision, telles qu'elles sont en usage dans ces anciens textes. J'eusse pu me passer, dira-t-on peut-être, de citer ceux la mesure ne laissait rien à désirer, mais les critiques qui voudront contrôler les corrections que j'ai trouvé à propos et nécessaire d'y introduire ne seront pas fâchés de pouvoir le faire facilement et sans perte de temps. ]'ai marqué par des astérisques les vers trop longs ou trop courts et par des points d'interrogation ceux les corrections présentaient un moindre degré de certitude. A la suite des citations on trouvera des remarques sur un certain nombre de vers auxquels je n'ai rien osé changer, quoique rey y paraisse être d'une syllabe. Ce travail aurait être pré- cédé par des recherches sur l'élision en espagnol et en portugais, mais comme je prévois qu'elles me prendront